COLÈRE chez les vétos. En 1er master, ils sont 348 alors que les infrastructures ne peuvent en accueillir que 250. © CORALIE CARDON POUR LE VIF/L'EXPRESS

Attention, faculté vétérinaire enragée!

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

La colère gronde au sein de la faculté vétérinaire de l’ULg. Les professeurs réclament un filtre à l’entrée pour mettre fin à l’accroissement du nombre d’étudiants. Le politique et les autres universités ne veulent pas en entendre parler. En attendant, la qualité de la formation pratique

Les deux pattes postérieures surélevées sur une table, la gueule posée sur les genoux de sa maîtresse, l’immense terre-neuve noir gémit à peine, peu perturbé par les sept étudiants qui observent son arrière-train. Si le chien semble habitué à la foule, tous les animaux qui passent par la clinique des animaux de compagnie de l’ULg ne sont pas aussi sereins.

Idéalement, ils ne devraient être que deux à observer cette insémination artificielle. Idéalement, les jeunes en blouse blanche devraient manier eux-mêmes la sonde et la seringue, s’ils avaient pu préalablement apprendre à maîtriser la technique. Un luxe pédagogique devenu impossible au sein de la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Liège.

Les étudiants qui prodiguent eux-mêmes des soins sont chanceux. Les professeurs n’ont pas le choix : lorsqu’il s’agit de désigner ceux qui pourront approcher un cas clinique, ils doivent sélectionner. « Je regarde le groupe et je désigne au hasard. « Toi, toi et toi », témoigne Marc Balligand, professeur de chirurgie des animaux de compagnie. Bien sûr, les autres se plaignent. Mais que pourrais-je faire d’autre ? Je ne peux pas laisser rentrer tout le monde au bloc opératoire. »

Bandages sur peluches

Ceux qui restent sur le carreau sont redirigés vers des cours théoriques ou des travaux pratiques sur des cadavres, lorsqu’il y en a suffisamment. Dans le fond d’une classe, de grosses peluches d’animaux trônent sur une table. Les professeurs ont été les acheter dans un magasin de jouets. Le seul moyen qu’ils ont trouvé pour apprendre à réaliser des bandages. Un jour, un prof mettant un point d’honneur à organiser ses travaux pratiques en petits groupes a dû envoyer des jeunes dans l’ascenseur, faute d’autres locaux disponibles. « C’est ça, l’université comme ascenseur social tant prônée par le parti socialiste ! », raille-t-il.

La faculté vétérinaire est au bord de l’implosion. Implosion d’étudiants : en 1er master, ils sont 348 alors que les infrastructures sont conçues pour en accueillir 250. L’association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) préconise 1 encadrant pour 5 apprenants. L’ULg compte 1 400 inscrits dans cette filière. Il faudrait donc 280 encadrants. Ils sont 82. Plus de 300 diplômes sont décernés chaque année alors que les besoins sur le marché du travail ne dépassent pas 50 postes.

Implosion de colère : depuis des années, les enseignants tirent la sonnette d’alarme. En vain. Ils pensaient pouvoir s’engouffrer dans la brèche ouverte en médecine où un filtre aux études a été instauré pour régler la pénurie de numéros Inami. En vain. Eux aussi réclament une limitation du nombre d’inscrits, qu’elle prenne la forme d’un numérus clausus, d’un test d’entrée ou autre. En vain.

En mai dernier, la faculté était partie manifester en nombre sur la place Saint-Lambert. Calicots et… distribution de questionnaires d’examens. Une manière symbolique pour le personnel de réaffirmer que la surpopulation actuelle ne peut conduire qu’à un déficit de formation. « Pour le savoir théorique, il n’y a aucun problème, confie Marc Balligand. Mais pour le savoir-faire et le savoir-être, c’est beaucoup plus difficile. »

C’est reparti pour six ans

Peut-on accepter qu’un diplômé puisse ouvrir son cabinet, soigner des animaux alors qu’il n’aura été qu’épisodiquement en réel contact avec eux durant sa 3e année de master et durant 14 semaines de stage ? Le personnel de la faculté a tenté de faire passer ce message auprès des pouvoirs publics. Mais la majorité PS-CDH à la Fédération Wallonie-Bruxelles est politiquement opposée à toute forme de restriction d’accès aux études supérieures. Si un filtre a été instauré en médecine, c’est uniquement parce que la ministre fédérale Maggie De Block (OpenVLD) s’est montrée intransigeante.

Bref, cinq mois après la manifestation, rien n’a changé. Ou presque. Jean-Claude Marcourt (PS), en charge de l’Enseignement supérieur, a fait abaisser dare-dare de 30 à 20% le nombre d’étudiants français pouvant suivre les cours. Cela n’a pas empêché près de 1 000 jeunes, toutes nationalités confondues, de s’inscrire en 1er bachelier à la dernière rentrée. La surpopulation est donc repartie pour six ans…

Le ministre socialiste a aussi débloqué 450 000 euros pour permettre à la faculté d’améliorer son encadrement pédagogique. « C’est déjà ça. Mais ce n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois, juge Marc Balligand. Ce n’est pas ça qui va permettre d’avoir plus de cas pratiques ! Il y a déjà beaucoup de vétérinaires sur le marché, on ne peut pas leur enlever le pain de la bouche en soignant tous les animaux ici. Et je ne peux pas aller casser les pattes des chiens dans la rue ! »

Sur le fond du problème, Jean-Claude Marcourt renvoie la balle aux quatre universités qui dispensent les cours théoriques en bachelier (ULB, UNamur, UCL et ULg). Mais personne ne suit les revendications liégeoises : accepter de limiter le nombre d’étudiants revient à se priver d’une manne conséquente de financement public. Après la perte d’une partie des inscrits en médecine, aucune ne peut se permettre un autre manque à gagner. D’autant que les vétos sont bien subsidiés (12 000 euros par étudiant en 1er bachelier). L’ULg, la seule à dispenser l’enseignement de master, se retrouve donc isolée.

« Busez-les ! »

Le consensus interuniversitaire n’arrivera probablement jamais. Le consensus politique non plus. Jean-Claude Marcourt aurait d’ailleurs dit en substance aux enseignants : « Pourquoi venir me demander une solution ? Vous pouvez vous débrouiller seuls. Busez-les ! » Faire échouer un jeune après trois ans (histoire qu’il ait quand même permis de décrocher du financement…), aucun prof ne veut s’embarquer là-dedans.

Alors la colère gronde. Sur les fenêtres des bâtiments, des chercheurs ont placardé des affiches. « Complet », « Fac vété enragée ». Parmi le personnel, des voix s’élèvent pour durcir le ton. Ne travailler arbitrairement qu’avec 250 étudiants et empêcher les autres de suivre les cours ? Faire grève au finish comme à la faculté Saint-Hyacinthe au Québec en 2003 ?

Les autorités universitaires liégeoises tableraient sur une solution interne. Comme la création de nouvelles filières en master. A côté de la pratique vétérinaire « classique », on dispenserait un enseignement plus orienté vers la biologie, l’écologie… En tout cas dépourvu d’apprentissage pratique. Reste à savoir si les jeunes auraient envie de s’y inscrire et d’oublier leur rêve de soigner les animaux.

En attendant une sortie de crise, certains étudiants continueront à marcher plus d’un kilomètre chaque matin pour rejoindre les cours, faute de places de parking plus proches. Ou à se rendre à la cafétéria pour dîner avant 11h45. Plus tard, le plateau repas est froid avant d’arriver à la caisse tellement la file devient interminable. Les petits effets collatéraux d’une surpopulation.

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