Laurence Van Ruymbeke

Arcelor, Ford Genk : mêmes constats, même combat

Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

« J’aimerais pouvoir faire quelque chose pour les travailleurs de Ford Genk. Mais ce n’est hélas pas si simple, soupire Kris Peeters, le ministre-président flamand. Le marché automobile est en crise. Et face à cela, le gouvernement flamand, comme n’importe quel autre gouvernement, ne peut pratiquement rien faire. De nouveaux subsides ne résoudront pas le problème de surcapacité actuel. »

Après la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde, en 1997, celle de Volkswagen, à Forest et celle d’Opel à Anvers, il y a deux ans, voilà à nouveau l’industrie automobile belge au coeur du cyclone. La direction générale du groupe américain Ford a en effet convoqué un conseil d’entreprise extraordinaire pour ce mercredi. Thème annoncé : la crise économique. Invités exceptionnels, le ministre-président flamand Kris Peeters, mais aussi les ministres flamands Ingrid Lieten, Geert Bourgeois et Jo Vandeurzen.

Avec un générique comme celui-là, la réunion qui suivra risque bien de tourner au film catastrophe. A l’heure actuelle, nul en Belgique ne sait ce qui sera annoncé. Mais trois hypothèses circulent : soit une fermeture définitive de l’usine, le licenciement des 4 300 personnes qui y travaillent et l’impact négatif direct pour les quelque milliers de travailleurs dont l’emploi est indirectement lié au site limbourgeois. Soit une forte réduction de la production et une moindre perte d’emplois. Soit la mise à l’arrêt temporaire du site, en attendant que le marché redécolle. Cette pratique, inconnue en Europe, est courante aux Etats-Unis.

Mais comment en est-on arrivé là, alors que l’usine s’était vu attribuer, il y a un mois à peine, la production de la nouvelle version de la berline Mondeo ? Comment ne pas se souvenir que dans le cadre du plan d’avenir conclu en 2010, la direction du groupe automobile avait garanti l’emploi sur le site de Genk jusqu’en 2020, en même temps que le montage, sur une même chaîne, des Mondeo, Galaxy, et S-Max ? Pour ancrer la promesse, le gouvernement flamand avait alors prêté 28 millions d’euros au constructeur. Celui-ci s’était engagé, de son côté, à investir 700 millions d’euros en échange de soutiens financiers publics, d’efforts du personnel et de réductions de coûts en tous genres. A ce jour, cet investissement ne s’est pas concrétisé. Kris Peeters peut certes rappeler que l’aide consentie devra être remboursée si Ford ne tient pas parole, sa colère ne pèsera guère. Ce n’est pas la première fois qu’un industriel revient sur une promesse…

« Avec les Américains, on ne sait jamais », soupire, dans les colonnes du Morgen, Peter Heller, l’ancien directeur de Ford Genk. Mais franchement, les choses seraient-elles différentes s’il s’agissait de Chinois, de Brésiliens ou de Sud-Africains ? La vérité est que les chiffres du marché de l’automobile en Europe sont calamiteux. Depuis le premier semestre 2011, Ford a vu ses ventes reculer de 19 %. En un an, il a perdu 1 milliard d’euros en Europe.

Des chiffres encore ? Alors qu’il leur faudrait atteindre un seuil de fonctionnement de 75 % pour être rentables, les usines de Ford en Europe ne tournent qu’à hauteur de 58 % de leur capacité. Fermer l’usine limbourgeoise coûterait certes 1,1 milliard de dollars. Mais cette condamnation rapporterait rapidement de 500 à 700 millions de dollars par an. Selon certains médias étrangers, la Mondeo pourrait alors être construite à Cologne, en Allemagne, qui semble à l’abri. Reste le site Ford de Valence, en Espagne, mais les coûts salariaux y sont nettement inférieurs aux coûts pratiqués en Belgique (33 dollars/heure contre 57). Le calcul crucifie de facto Genk.

Voilà donc qu’en terres limbourgeoises, d’affligeants constats s’imposent, les mêmes, exactement, que dans le dossier Arcelor-Mittal,: l’impuissance des responsables politiques face aux multinationales, l’absence aveuglante de politique industrielle définie et, surtout, défendue par les autorités européennes, la mise en concurrence de sites et l’implacable comparaison du coût du travail d’un pays à l’autre, qui fait fi de toute nuance. Depuis la fermeture de Renault, à Vilvorde, à la fin des années 1990, rien n’a donc changé ?

Si peu… Les syndicats, qui évoquent déjà la fermeture des grilles de l’usine de Genk pour s’assurer un trésor de guerre, ne pourront guère faire plus que de négocier un plan social le moins douloureux possible pour les travailleurs. Peut-être songeront-ils, amers, au succès planétaire du groupe Volkswagen, qui, entre autres particularités, est cogéré par les organisations syndicales… Celles-ci occupent la moitié des sièges au conseil de surveillance et disposent d’un droit de veto sur les décisions importantes. A méditer.

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