Moins de mandats, moins de mandataires, mais plus de contrôle, plus de transparence, et moins de frais : chacun y va de sa proposition. Ici, Charles Michel (MR), Siegfried Bracke (N-VA) et Raoul Hedebouw (PTB). © THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Après la volonté de laver plus blanc que blanc, la foire aux fausses bonnes idées

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Transparence, contrôle démocratique, efficacité, rentabilité, gouvernance : le monde politique tire dans tous les sens. Y compris dans son propre pied. Petite revue des mesures contradictoires, contre-productives, cyniques et intéressées lancées par ceux qui veulent désormais laver toujours plus blanc. C’est-à-dire par tout le monde.

Bien qu’ils s’en défendent, les hommes politiques aiment le buzz et ont le sens de la fable. Ça tombe bien. Une de celles qui a fondé la doctrine libérale a été écrite au XVIIIe siècle par un Anglais, Bernard Mandeville, et met en scène une ruche bourdonnante, pleine d’abeilles égoïstes et cyniques, mais qui, pourtant, fonctionne harmonieusement. Que les abeilles et les bourdons se préoccupent d’agir honnêtement, et c’est toute la communauté qui s’effondre.  » Vices privés, bienfaits publics « , c’est le sous-titre de la fable de Mandeville, s’appliquait à l’Angleterre d’alors, nation prospère aux habitants corrompus. Se comporter de manière désintéressée n’est pas seulement inutile, dit le philosophe : c’est contre-productif, car la recherche de son intérêt personnel est la condition de la prospérité collective. Réclamer des individus qu’ils se comportent noblement mène la société à sa perte.

 » Oui, si un peuple veut être grand,

Le vice est aussi nécessaire à l’Etat,

Que la faim l’est pour le faire manger.

La vertu seule ne peut faire vivre les nations

Dans la magnificence ; ceux qui veulent revoir

Un âge d’or, doivent être aussi disposés

A se nourrir de glands, qu’à vivre honnêtes. « 

Rudy Demotte en 2007 :
Rudy Demotte en 2007 :  » Moi aussi, sur ces questions, j’ai surjoué. Mais je vois comment ça se passe au bout du compte. « © BERTRAND BOUCKAERT/BELGAIMAGE

L’alternative, selon Mandeville, est indépassable : soit la société va mal parce que ses agents sont bons, soit elle va bien parce qu’ils sont mauvais. Or, aujourd’hui, en Belgique, les hommes politiques promettent tous de se nourrir de toujours moins de glands, après avoir goûté de tant de mets raffinés. La concurrence des vertueux va déjà abattre la ruche Publifin, dont on se demande si elle a vraiment produit tant de miel. Chacun jure que sa vertu privée, plus sincère et plus profonde que celle du bourdon d’à côté, contribuera à la vertu publique de la ruche. Mais tous ces battements d’ailes font tant de bruit que leur bourdonnement en devient insupportable. Jusque dans certaines alvéoles haut placées.

On a ainsi entendu le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dimanche 19 février, déplorer sur Bel RTL la surenchère à laquelle se livrent ses collègues de tous les partis. Lui qui, pourtant, n’avait pas été le moins bruyant à l’époque des  » affaires  » carolorégiennes d’il y a une dizaine d’années, a changé.  » On tient compte des enseignements de la vie. Je lis beaucoup, et j’essaie d’apprendre de ce que je lis. On est dans une spirale où chacun affûte la lame de la guillotine. Robespierre l’a fait, et je vois comment ça se passe au bout du compte, ce qu’engendrent les comportements qui se veulent plus puristes que les puristes. Je préfère être dans la position de Condorcet que dans celle de Robespierre. Il faut jouer la transparence, mais pas surjouer la transparence. Tout le monde surjoue. Moi aussi je l’ai fait, parce que j’étais jeune, que j’avais envie que ça s’entende. Maintenant, j’ai quelques années de plus, je reste sur les mêmes principes, mais la manière dont j’avance mes arguments est différente « , disait-il à Pascal Vrebos.

Selon Pascal Delwit (ULB), la fin de l'effet dévolutif de la case de tête avantagera les élus sortants, les héritiers et les vedettes médiatiques.
Selon Pascal Delwit (ULB), la fin de l’effet dévolutif de la case de tête avantagera les élus sortants, les héritiers et les vedettes médiatiques.© HATIM KAGHAT/ID PHOTO AGENCY

Le bruit que font ces annonces n’est pas le vrai problème, dirait Mandeville. Ce sont leurs effets potentiels qui le sont. Surtout si toutes sont adoptées en même temps. Car, mine de rien, ces professions de foi sur la moralisation de la vie publique, si elles semblent unanimes, n’en sont pas moins souvent contradictoires. En gros, deux logiques s’affrontent, sans que personne ne veuille s’en rendre compte. D’une part une, verticale, qui va du haut vers le bas, et qui voudrait que la chose publique – le gouvernement, les entreprises publiques, les intercommunales, le Parlement – soit gérée par des experts, au savoir puissant et à la volonté claire. Des gens qui savent où ils vont, à qui il faudrait donner les mains libres et qui, conséquemment, coûteraient cher. Cette logique de pouvoir, importée du secteur privé, aspire à l’efficacité économique, et demande une concentration du pouvoir. D’autre part une, horizontale, qui vise à associer le plus de personnes possibles à la prise de décision pour la contrôler davantage, donc à diluer l’autorité entre toujours plus de mandataires, peu payés mais très nombreux et qui, conséquemment, coûteraient cher. Cette logique de contre-pouvoir, démocratique, aspire à la participation, et éparpille la puissance publique. De tous les côtés, le monde politique promet de faire plus avec moins, moins de mandats pour plus de contrôle, des partis moins puissants pour des représentants plus représentatifs, des mandataires plus techniciens et moins éloignés de la population. Le tout étant censé coûter moins cher et rapporter plus. Bref, le miel, l’argent du miel, le sourire de l’électeur, et les vertus privées avec les vertus publiques.

Des intercommunales, il en faut moins. Mais…

Tout le monde semble d’accord. La multiplication des intercommunales est un mal wallon. C’est de l’une d’entre elles, celle que l’on disait la plus grande du monde, qu’est né le scandale. Elles doivent, chacune, être plus transparentes. Le gouvernement wallon travaille en ce sens, les recense, et s’emploie à, dit-il,  » rationaliser le secteur « . Mais de quelle rationalisation parle-t-on ?

Dans quel sens doit-on en réduire le nombre ? En les regroupant par secteur – le gaz, l’électricité, le développement économique, les déchets, les hôpitaux, etc. ou par sous-région – la Wallonie picarde, Liège, etc. ?

Par secteur, on créerait des géants, ce dont les promoteurs louent la  » taille critique « , qui seraient  » capables de peser à l’international  » et dirigés par de tout grands formats. Paul Magnette ou Benoît Lutgen, par exemple, se sont prononcés en ce sens, notamment pour l’énergie et pour la télédistribution.

Par sous-région, on créerait des bastions, jamais loin de la baronnie, donnant des leviers puissants, car cohérents, à une élite locale éclairée. Jean-Luc Crucke et Rudy Demotte, pour le Hainaut occidental, se positionnent ainsi. Homme de synthèse par excellence, le Brabançon wallon André Antoine résume dans sa propre tête la contradiction entre fusion sectorielle et unité géographique qui traverse l’ensemble du monde politique : il est à la fois pour un grand distributeur wallon de gaz et de l’électricité, et pour la réunion des trois intercommunales du Brabant wallon en une seule structure provinciale.

Dans tous les cas, on efface les  » petites  » structures, et l’on confie les clés d’intercos moins nombreuses mais plus grosses, à des entrepreneurs, politiques ou économiques, professionnels donc compétents, plutôt qu’à des amateurs, au profit des actionnaires, les communes, qui en recevraient de meilleurs dividendes.

Il y en a encore, pourtant, des institutions de ce secteur qui sont les plus proches, physiquement, du citoyen : à Wavre, la commune du Premier ministre, c’est une régie municipale qui distribue l’électricité, à la satisfaction de tous. La petitesse de la structure ne garantit pas l’absence d’abus, mais bien leur hauteur limitée. Les écologistes et le PTB, par exemple, penchent plutôt de ce côté.  » Ce que nous prônons, ce sont des conseils d’administration élus où siègent des conseillers communaux, des représentants d’organisations de consommateurs, des syndicats et organisations de la société civile, et des citoyens directement élus. De manière à ce que tout engagement dans la société soit rentable pour ces régies urbaines : citoyens impliqués, spécialistes en placements éthiques, experts de la société civile, personnes qui vouent une réelle passion à la ville et aux services publics. On pourrait également envisager de donner un droit de parole aux citoyens lors des réunions du conseil et de donner aux comités de citoyens le droit de mettre des points à l’ordre du jour. C’est ce que nous appelons une démocratie active d’en bas. Et bien sûr, tout sera immédiatement rendu public. Toutes les réunions seront retransmises en direct par Internet, en live streaming. Rien ne sera caché. Et le contrôle organisé par la population, car  » l’autorégulation ne fonctionne pas « , écrivait ainsi Peter Mertens, président du PTB, dans une carte blanche publiée sur levif.be. Tant pis si les bénéfices sont moins élevés. Donc si, comme le déplorait pour Publifin le conseiller communal PTB Raoul Hedebouw, les communes en reçoivent moins de dividendes ?

Des élus locaux, il en faut moins. Mais…

Les écologistes (ici, Jean-Marc Nollet et Kristof Calvo) prônent le décumul total à tous les étages. Avantageux, pour des partis manquant de figures locales populaires.
Les écologistes (ici, Jean-Marc Nollet et Kristof Calvo) prônent le décumul total à tous les étages. Avantageux, pour des partis manquant de figures locales populaires.© BART DEWAELE/ID PHOTO AGENCY

Bruxelles est un grand village, et ses dix-neuf communes de tout petits hameaux. C’est pourquoi le PS bruxellois propose d’y diminuer le nombre d’échevins, notamment, tout en rémunérant mieux les mandataires locaux.  » Notre réponse aux enjeux de gouvernance moderne et transparente repose sur deux axes : une plus grande participation de tous à l’exercice du pouvoir politique, et une réforme du cadre dans lequel s’inscrivent les fonctions exercées par chacun « , expliquait Laurette Onkelinx en conférence de presse, le vendredi 10 février. Mais, pourtant,  » le mandat local est inscrit dans l’ADN du mouvement socialiste. C’est au niveau local que nous menons nos politiques sociales de proximité, qui garantissent la cohésion sociale dans nos quartiers […]. Le PS bruxellois se positionne donc pour une réduction du nombre d’échevins par collège et un renforcement de leurs attributions « , précisait le communiqué distribué. Reprenons le raisonnement : les élus locaux sont indispensables à la démocratie. Ils sont les derniers mandataires que la population apprécie. Donc on en réduit le nombre. Donc on en fait des professionnels ou presque. Donc des experts de la gouvernance publique. Donc des gens qui auront moins de temps pour entendre les préoccupations des personnes qu’ils sont censés représenter. Donc des gens que ces personnes apprécieront moins ?

Des députés, il en faut moins. Mais…

Charles Michel lui-même se l’est demandé publiquement, en séance plénière de la Chambre, le jeudi 9 février :  » N’y a-t-il pas dans notre pays beaucoup de ministres, beaucoup de mandataires ? Peut-être doit-on mettre cette question de la rémunération en lien avec le nombre très élevé de fonctions politiques et de fonctions publiques.  » Il visait, dit-on, aussi les parlementaires. Dans la foulée du Premier ministre, Barbara Dufour, professeur au très huppé collège du Sacré-Coeur de Charleroi, expliquait cette semaine, dans une carte blanche très partagée sur levif.be depuis le 20 février, que les députés devraient  » travailler plus que trois jours par semaine « . L’enseignante, comme beaucoup, pense que travailler dans un Parlement consiste à y siéger au moins trente-huit heures par semaine, cinquante-deux semaines par an. Elle semble ignorer que c’est en dehors du Parlement que travaillent les parlementaires. Elle, elle voudrait les y enfermer. Ils ne pourront pas rencontrer des gens, les écouter ou les convaincre. Donc ils seront encore plus déconnectés. Elle veut aussi en réduire le nombre, des parlementaires. Mais s’il y en a moins, ils représenteront censément beaucoup plus de gens. Donc ils en seront plus éloignés. Donc ils auront tendance à faire autre chose que se montrer à leur écoute. Donc ils seront encore et encore plus déconnectés ?

Bref, des mandats, il en faut moins. Mais…

Dans la surenchère, les socialistes bruxellois présidés par Laurette Onkelinx proposent de diminuer le nombre des échevins au motif que... les échevins sont les mandataires les plus proches de la population.
Dans la surenchère, les socialistes bruxellois présidés par Laurette Onkelinx proposent de diminuer le nombre des échevins au motif que… les échevins sont les mandataires les plus proches de la population. © DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

Christophe De Beukelaer, tout nouveau président des jeunes CDH et échevin à Woluwe-Saint-Pierre, veut limiter les mandats dans le temps, à deux ou trois successifs. Au nom de  » la fraîcheur des idées, l’expérience de la vie civile au service de la vie politique « , et  » le fait que le citoyen s’attachera moins aux personnalités (puisque le renouvellement sera plus important) et davantage aux idées « , déclarait-il à nos confrères de La Libre, le mercredi 15 février. Deux mandats et pas plus, c’est déjà, en fait, la durée moyenne de la carrière des parlementaires. Ceux qui le restent plus longtemps, en général, montent en grade. Ils deviennent ministre, à gauche ou à droite. Et donnent l’impression qu’une caste d’oligarques monopolise le pouvoir. Les empêcher de s’y attarder, c’est alors s’assurer d’un renouvellement plus fréquent. Mais aussi de ministres moins expérimentés. Donc généralement moins compétents. Les expériences ministérielles écologistes, où les mandats sont, sauf dérogations, limités à deux successifs, ont été à ce titre assez marquantes. Comment faire, alors, pour désigner des ministres de talent ? Trouver des gens, dans le privé, dont l’expertise est reconnue dans le département concerné. Donc des technocrates ?

Du pouvoir des partis politiques, il en faut moins. Mais…

Louis Michel le proclamait récemment dans une interview au Vif/L’Express qui a fait date (notre édition du 3 février) :  » Vous voulez un moyen de donner réellement aux citoyens le pouvoir de sanctionner le politique ? Supprimons la case de tête et l’intégralité de son effet dévolutif, retirons ainsi la confection des listes électorales aux appareils des partis : les places seront attribuées par ordre alphabétique ou par tirage au sort. Celui qui aura le plus de voix sera élu. Et les femmes n’auront plus d’excuses de ne pas être 50 % au Parlement.  » Ainsi soit-il. C’est que les partis n’ont plus bonne presse, et que la démocratie gagnerait à limiter leur pouvoir, à tout le moins dans la désignation des représentants de la nation. La Région wallonne, du reste, a anticipé la volonté michelienne et les prochaines élections communales et provinciales s’y feront sans effet dévolutif. Une avancée démocratique, en disent les promoteurs. Dont les effets, pourtant, sont discutables.  » Plus que jamais, on renforce la personnalisation de la vie politique et des campagnes électorales. Ce n’est plus un combat ou un débat d’idées ou de programmes mais une compétition de personnes. Et cette lutte est plus que jamais double : entre personnes de partis différents et, parfois plus encore, entre candidat(e)s de la même liste. Est-ce là une vision idyllique de la démocratie ? « , s’interrogeait, sur Facebook, le politologue Pascal Delwit (ULB). Dans cette compétition, tous les candidat(e)s ne partent pas sur un pied d’égalité. Les personnes plus âgées qui peuvent faire valoir un ou plusieurs réseaux de personnes- ressources, a fortiori les candidat(e)s qui sont des élus sortants, qui sont parents de responsables politiques ou qui ont une visibilité publique ou une présence médiatique seront plus que jamais avantagés, sans possibilité éventuelle de compenser par une place sur la liste. Est-ce la meilleure voie pour renouveler et ouvrir la vie politique, notamment locale ? « , insistait-il. Donc, écorcher le pouvoir des appareils de parti renforcerait l’assise des vieux élus sortants, eux-mêmes dirigeants de l’appareil de leur parti, au détriment de la belle jeunesse aspirant à l’élection. Donc l’oligarchie partisane, et pas la démocratie citoyenne ?

Des adversaires, il en faut moins. Mais il n’y a pas de mais.

Le président du CD&V, Wouter Beke, veut interdire le cumul d’un parlementaire avec le mayorat d’une ville de plus de 50 000 habitants. Ça tombe bien, son parti n’en dirige que trois. Benoît Lutgen veut supprimer l’effet dévolutif de la case de tête. Ça tombe bien, son parti tient debout grâce à ses personnalités populaires. Les écologistes veulent interdire tout cumul entre les parlements et les exécutifs locaux. Ça tombe bien, leur parti est marginal dans ces exécutifs locaux. Là-dessus, tout le monde s’accorde : avant de se tirer une balle dans le pied, il faut veiller à toucher le coeur de l’adversaire.

Car on lutte contre l’intéressement en politique de manière tout sauf politiquement désintéressée.

Et donc il est peut-être là, le vrai vice qui gangrène la ruche.

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