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Antoine Boucher : « Interdire les drogues ne sert à rien »

Stagiaire Le Vif

Antoine Boucher est formateur, consultant et le responsable communication de l’ASBL Infor-Drogues. Pour lui, la répression des drogues est inefficace. Sa solution ? L’éducation.

Dans ce cadre, lire l’article « L’alcool et le tabac sont les drogues les plus meurtrières »

Le Vif : Quelles seraient les pistes pour mieux sensibiliser aux dangers de la consommation abusive d’alcool et de tabac ?

Antoine Boucher : Notre idée en termes de prévention n’est justement pas de sensibiliser aux dangers. Prenons l’exemple du tabac : l’idée a toujours été de mettre de plus en plus d’avertissements, grands et explicites, sur les paquets de cigarettes. Si certains ont arrêté, ça n’a pas empêché une grande partie des fumeurs de continuer. On sent bien que ce système de prévention a atteint ses limites et qu’il n’est pas vraiment dissuasif. La prévention et l’augmentation des prix n’ont pas fait diminuer la consommation pour autant. Pour nous, continuer dans ce genre d’approche ne nous semble plus tellement pertinent, ni utile.

Que préconise Infor-Drogues dans ce cas ?

Il faut faire de l’éducation, de manière large et importante. C’est ça qui va fonctionner. Evidemment, ça ne va pas empêcher toutes les consommations, mais éduquer va permettre une meilleure gestion de celles-ci par l’individu, il va pouvoir être capable de limiter sa consommation, car on deviendrait alors plus ou moins « maître » des raisons pour lesquelles on consomme, et ça, c’est un principe éducatif.

Quand la publicité pour le tabac était encore autorisée, on jouait surtout sur l’identification.

Ce qui nous était proposé, ce n’était jamais un produit qui mettait en avant ses effets physiques, mais agissait sur l’image. Et c’est clairement inconscient. Les publicités mettaient en avant des fumeurs auxquels s’identifier : un cow-boy, un explorateur, le jeune urbain… Il faut travailler pour rendre tout ça conscient et pouvoir ainsi proposer des alternatives. Il y a d’autres moyens que le tabac pour s’identifier à quelqu’un, lui ressembler. C’est sur ça qu’il faut réfléchir. Pour nous, la prévention, c’est éduquer.

L’ONU a constaté l’inefficacité de la répression en matière de drogues. Interdire ne sert-il à rien ?

L’interdit a été testé, et ça ne fonctionne pas. On a remarqué que ça pouvait en dissuader certains, mais quand une personne a des motivations à consommer des drogues, ce n’est pas l’interdit qui l’arrêtera. Ni les dangers pour la santé ni les lourdes peines de prison ne dissuadent concrètement.

On pense que l’interdit règle tout. On n’éduque plus les gens parce que soi-disant le produit n’est pas « disponible ». Mais c’est une erreur, car il est tout autant disponible que quand il n’est pas interdit. Et du côté des pouvoirs publics, on a une difficulté à faire les deux. Il faut à un moment trancher. Qu’est-ce qui est le plus efficace entre interdire et éduquer ? Les gens seront tôt ou tard confrontés au tabac, à l’alcool, aux drogues. Penser que l’interdit protège, c’est pratiquer la politique de l’autruche.

C’est un phénomène extrêmement social et c’est là-dessus que l’éducation doit porter.

L’interdit, c’est l’inverse de l’éducation. On impose des choses. Quand on y songe, les drogues les plus néfastes pour la santé, elles, ne sont pas interdites, le tabac en tête. La logique voudrait qu’on interdise les pires, mais ça n’aurait pas marché. Donc c’est très compliqué d’expliquer cette loi « d’interdit ». On fait l’inverse de l’éducation. On embrouille les gens.

Il y a vraiment une crainte dans le chef d’un certain nombre de responsables politiques, qui pensent que si on éduque, la consommation va exploser et qu’elle ne va plus pouvoir être maîtrisée. C’est évidemment l’inverse. Les drogues seront moins disponibles et mieux gérées. Il y aura également moins de problèmes de santé publique. Mais c’est très difficile aujourd’hui à faire passer comme idée.

Il faudrait faire la même chose avec l’alcool, selon vous ?

Oui, c’est le même processus avec l’alcool. Il faut expliquer, éduquer à l’alcool. Se demander « à quoi sert l’alcool » ? Quand on a compris à quoi il servait, pourquoi on en boit, avec qui, dans quelle occasion, on peut donc déjà mieux maîtriser sa consommation.

C’est vraiment la fonction sociale de l’alcool qui doit être mise au centre pour être mieux géré. Car tant qu’on ne « sait pas », on ne l’intégrera pas. L’alcool est avant tout fonctionnel, il a une grande fonction sociale. Il faut donc la connaître et mieux le consommer, et ainsi éviter les dérapages. Si on n’a pas conscience de son importante, les problèmes pourront vite arriver.

Propos recueillis par Maxime Defays.

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