Willy Demeyer. © Belga

Antiterrorisme : « Les polices locales au secours du fédéral »

Au PS, c’est le bourgmestre de Liège qui sert de référence pour les matières de police et de sécurité. Il vient de fermer une mosquée radicale et siège, avec prudence, à la commission des attentats du 22 Mars.

Sur quels éléments repose votre décision de fermer la mosquée salafiste Markaz Attawhid ?

Cette mosquée était surveillée depuis 2008. Comme elle n’était pas en règle sur le plan de la sécurité des lieux, j’ai pris un arrêté de fermeture, le 25 mai dernier, après avoir obtenu le nihil obstat des autorités fédérales (police fédérale, parquet, sûreté de l’État) car la mosquée était surveillée. Un courrier du 27 mai du procureur de roi de Liège, Philippe Dulieu, m’a communiqué les bases d’une fermeture définitive pour trouble à l’ordre public. En effet, quatre personnes qui l’ont fréquentée ont été condamnées à titre définitif, en juin 2015, dans des affaires liées à des infractions terroristes. Un cinquième prévenu est en appel du jugement prononcé par le tribunal correctionnel de Liège et un sixième en détention préventive dans un dossier du parquet fédéral. (NDLR : il s’agit du Verviétois Mohamed Bakkali, suspecté d’être un complice des frères Abdeslam lors des attentats de Paris). Eux aussi, des habitués du centre Markaz (lire aussi page XX). La notion de trouble à l’ordre public repose sur le danger, en l’occurrence terroriste, qu’un tel lieu peut susciter à l’extérieur. Le dossier a été minutieusement analysé avant d’envoyer des convocations aux responsables de l’asbl Markaz Attawhid. Ils ont exposé leurs arguments à l’hôtel de police. Et deux jours plus tard, le 17 juin, j’ai signé l’arrêté de fermeture. Je pense que c’est une première en Belgique.

Liège fournit relativement peu d’aspirants au djihad. Avez-vous une explication ?

De fait, nous avons seulement 16 Liégeois sur la liste de l’Ocam (Organe pour la coordination de l’analyse de la menace), ce qui est relativement peu. Rien ne permet de l’expliquer scientifiquement mais nous avons un réseau associatif et culturel très dense : une petite vingtaine de maisons de jeunes, quatre foyers culturels avec des décentralisations et beaucoup d’établissements scolaires, tous pouvoirs organisateurs confondus. Si on compare avec Vilvorde, par exemple, on voit qu’il n’y avait pas de maisons de jeunes ni de foyers culturels. Maintenant, le bourgmestre Hans Bonte (SP.A) en ouvre. Grâce aux plans de prévention et de cohésion sociale, on a développé une synergie entre l’action policière et l’action civile. Ce qui permet aux policiers de faire appel à des compétences civiles et au civil de passer la main lorsqu’il est dépassé. A côté de cela, nous avons un peloton antibanditisme de près de 40 unités, très bon en intervention. Je pense que la criminalité organisée ne s’est pas enracinée à Liège grâce à une bonne collaboration entre la police et la justice, d’une part, et la police administrative, d’autre part. Cette collaboration se fait, à mon sens, au sein des conseils zonaux de sécurité qui rassemblent police fédérale, police locale et parquet, sous la présidence des bourgmestres, et tous ceux dont on a besoin, comme le parquet général, pour définir une politique criminelle. C’est un moyen que j’utilise régulièrement à propos de toutes sortes de problématiques : prostitution, toxicomanie, Hell’s Angels à l’époque, qui ont déménagé de l’arrondissement de Liège…

Y a-t-il un modèle d’intégration propre à votre ville ?

Je ne veux donner de leçon à personne. Liège n’est pas comparable à Bruxelles, Verviers ou Anvers. Le plus important, c’est vraisemblablement l’éducation et la culture. Un logement et un cadre de vie de qualité, aussi. J’ai été très ému lors de l’opération lancée par l’échevin de la Culture, Jean-Pierre Hupkens, et l’Orchestre royal philharmonique, lequel, pendant un an, a appris à des tas d’enfants d’écoles différentes, y compris de quartiers défavorisés, à jouer de la musique classique. Tous ensemble, ils ont produit une oeuvre. Cet après-midi-là, la superbe salle du philharmonique était pleine, et c’était magnifique. Je crois à l’émancipation des individus par l’instruction et la culture. C’est le meilleur chemin et on explique aux Liégeois qu’ils sont dignes de l’emprunter. A côté de cela, quand c’est nécessaire, il faut passer à une politique plus répressive, encore faut-il en avoir les moyens, mais c’est le prix d’une politique bien équilibrée.

Le procureur général de Liège a préconisé, dans un entretien au Vif/L’Express, un renforcement de l’implication de la police locale dans la lutte antiterroriste…

Oui mais, en même temps, il a demandé, dans le dossier des prisons, à faire jouer l’hypothèque fédérale (NDLR : le droit de tirage de la police fédérale sur les moyens des polices locales), pour soulager la police fédérale. C’est une question de priorité, de répartition des moyens et des tâches.

La commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars est poussive : deux jours par semaine, avec un ordre du jour connu très tard ou modifié à la dernière minute. Quel bilan en tirez-vous à ce stade ?

Le premier volet, consacré aux secours, est presque terminé et on peut dire que, globalement, sans anticiper sur les conclusions, tout cela a bien fonctionné, à l’exception de la discussion sur le nombre d’ambulances et le commandement. On sent que, pour certains, c’était à la province ou à la Région de prendre le lead, pour d’autres, c’était le fédéral. Nous aurons ensuite le volet policier, en septembre, puis le volet radicalisme. Que dire de plus ? C’est Patrick Dewael qui a la haute main sur l’agenda. Il a de l’expérience. Mais ce n’est pas sûr que nous ayons fini en décembre.

Avez-vous un avis sur la cause des dysfonctionnements survenus dans le suivi des auteurs ou complices des attentats de Paris et de Bruxelles ?

On n’a pas encore posé ce diagnostic. Je ne dirai qu’une chose : l’information doit circuler, avec discrétion peut-être, mais en confiance. Ceci encore : un bon service public de police et de justice doit être financé. Un exemple : pour l’instant, la police de Liège doit opérer des recrutements. Les sommes sont budgétées mais nous avons des difficultés à trouver des candidats parce que le gouvernement a souhaité recruter moins de policiers. On est passé, par an, de 1 400 entrées dans la profession à 800.

Des policiers francophones se plaignent de la flamandisation de la police fédérale au point que certains aspirent à se replier sur leur région. Qu’en pense le bourgmestre de Liège ?

C’est toute la question de l’architecture des services de police. Après la malheureuse affaire de Julie et de Melissa, on a connu, au début des années 2000, la police intégrée, structurée à deux niveaux, où la police fédérale venait en appui des polices locales. Je constate que c’est l’inverse qui se produit maintenant, avec une disparition programmée de la réserve générale, un appel aux zones de police locale via la capacité hypothéquée et une mobilisation de la composante Terre des forces armées pour reprendre les tâches de la réserve générale… C’est caricaturé à gros traits. Quant à la police fédérale, on peut regretter le fait que les francophones ne sont pas toujours bilingues car, pour les postes à responsabilité, il faut parler la langue de l’autre. Enfin, ce n’est pas parce qu’on nous dit qu’il n’y a pas de communautaire que celui-ci ne s’exprime pas. Au Parlement, le gouvernement fait du communautaire tous les jours.

Mais cette flamandisation décomplexée de la police fédérale…

(silence) Soit on régionalise tout, soit l’une des Régions trouve un intérêt à conserver l’État, en ayant une place prépondérante dans la machine…

Laquelle des deux options tient la corde ?

Il faut interroger les Flamands. Ce n’est pas moi qui peux vous répondre… Le mouvement flamand a toujours hésité entre la régionalisation du pays et la flamandisation de l’État.

La Wallonie a-t-elle intérêt à rester dans un schéma aussi déséquilibré ?

(silence) Il y a déséquilibre et mutation mais le problème le plus important est la privatisation des tâches de la police. Au moment où nous sommes, je me situe plutôt sur un schéma gauche-droite parce que, en commission d’enquête, j’ai entendu des fonctionnaires flamands de grande qualité. Tout le pilier régalien est au milieu du gué et l’analyse gauche-droite (réduction draconienne des finances publiques, privatisation…) est au moins aussi prégnante, si pas plus, que l’analyse communautaire.

Faut-il accentuer ou, au contraire, réduire l’autonomie du pilier judiciaire dans la police fédérale ?

Peu importe l’organisation, si les gens ne se parlent pas, ça ne fonctionnera pas. Je préfère attendre les conclusions de la commission. Elle nous apportera des enseignements à ce niveau-là. Je ne veux pas m’avancer sur des conclusions qui n’existent pas encore. Ce serait contraire à ma discipline personnelle et au principe d’une commission d’enquête. Le débat aura lieu après les vacances. Où va la Belgique ? Cela dépendra peut-être de ce qui va sortir de notre commission, de l’architecture policière qui y sera proposée. C’est un endroit important.

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