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André Flahaut, la botte discrète de Di Rupo

Le gouvernement compte beaucoup sur le président de la Chambre pour que la méga-réforme de l’Etat passe sans casse le cap des tempêtes parlementaires. Le fidèle grognard du boulevard de l’Empereur sera à la hauteur de sa réputation : avec lui, la N-VA ne passera pas. C’est bien ce qui fait rager De Wever et ses partisans.

Huit ans passés à la tête de la Défense, ça vous blinde un homme. Depuis son perchoir, tel un général à la veille de la bataille, André Flahaut (PS) contemple, absorbé, l’arène parlementaire et ses gladiateurs occupés à fourbir leurs armes. Ce coup-là, le vieux briscard ne l’a pas venu venir. Portée par la N-VA massée sur son flanc droit dans l’hémicycle, la charge a fait mouche. Un président d’assemblée, pris en flagrant délit d’avoir tenu devant des députés français des propos dénigrants sur la politique de la Flandre et les agissements de son parti dominant, la N-VA. Stupeur et indignation : il y avait là matière à remonter les bretelles d’André Flahaut. A lui passer un savon pour cette entorse à son devoir de neutralité.

Jan Jambon, chef de groupe de la N-VA, a donc sorti les violons, en séance plénière de la Chambre : « Comment réagiraient les francophones si la présidente du Sénat [NDLR : la CD&V Sabine de Bethune] s’exprimait en des termes semblables à leur égard ? Ils n’accepteraient pas de tels propos. »

Bien essayé. Sauf que la ficelle agitée la semaine passée était un peu grosse. De Wever and Co ont fait semblant de découvrir la lune : ce rapport parlementaire français qu’ils ont exhibé, tel un acte d’accusation, sous la moustache du président installé au perchoir, les nationalistes flamands l’avaient parcouru depuis belle lurette. Invités dix jours auparavant par Le Vif/L’Express à le commenter (voir Le Vif du 18 mai), ils n’avaient alors rien trouvé à redire au camarade Flahaut.

Pétard mouillé. Mais bien ajusté à la veille de l’ouverture des hostilités parlementaires sur la méga-réforme de l’Etat. Il n’avait d’autre but que de forcer le président de la Chambre à se recadrer lui-même. « A l’avenir [sic], je remplirai ma fonction au mieux, dans le respect de tous les membres de cette assemblée, majorité et opposition confondues », a promis André Flahaut. Comme si le doute était permis…

De fait. A croire que les vieux réflexes acquis au contact des militaires lui ont commandé de jouer l’attaque plutôt que la défense : il y a un mois déjà, André Flahaut battait ostensiblement le rappel des troupes de la majorité. Faisait passer la consigne aux socialistes, libéraux, démocrates-chrétiens, avec les verts en renfort, bref, à cette coalition hétéroclite déterminée à soutenir la réforme de l’Etat : « Rester unis, agir en bon ordre ! » Pas question de flancher dans les rangs.

Conception toute personnelle du président de la Chambre de rester au-dessus de la mêlée, là où son alter ego à la présidence du Sénat, Sabine de Bethune, s’en tient à un strict devoir de réserve. C’est la façon dont André Flahaut a de tenir la position. Fermement. Habilement. Il peut bien sourire dans sa moustache grisonnante. Certains avaient ricané un peu vite, quand il avait hérité de la présidence de la Chambre, dans la foulée du scrutin de juin 2010. Rangé sur une voie de garage, Flahaut ! Même pas repêché dans le gouvernement Di Rupo Ier…

Rira bien qui rirait le dernier. Elio Di Rupo avait bien l’intention de sauver le soldat Flahaut. Et de lui confier une mission de confiance, en obtenant de Bart De Wever (N-VA) le perchoir de la Chambre pour un des plus loyaux serviteurs du PS. Avec lui, c’est un retour sur investissement garanti.

Le promu confirme volontiers : « Dans sa ligne du temps, Elio avait bien mesuré l’importance de la fonction, dans la perspective des deux énormes chantiers qui seraient sur la table : l’institutionnel et le socio-économique. Il jugeait important de pouvoir compter à la présidence de la Chambre sur un relais en qui il pouvait avoir pleinement confiance. Quelqu’un qui a une certaine expérience, qui connaît bien les rouages de la politique et de l’Etat. »

Le camarade avait répondu présent aussi sec. « Je suis votre homme, président ! » Sa carte de visite n’autorise aucun doute : douze ans ministre fédéral ; ex-patron de l’IEV, le centre d’études du PS ; membre confirmé du G 9, le « kern » du parti socialiste. Flahaut est une vraie fée du logis socialiste.

Le locataire du 16, rue de la Loi peut ainsi dormir sur ses deux oreilles. Il était difficile de placer un allié plus sûr au perchoir. Quelqu’un capable d’orchestrer les joutes parlementaires au rythme soutenu que va exiger la réussite du chantier institutionnel. Quelqu’un à même de dompter une opposition qui compte dans ses rangs, fait rare et délicat à gérer, le plus important groupe de l’assemblée parlementaire.

Le risque zéro n’existe pas. « Herman De Croo me disait un jour : « Présider la Chambre, c’est comme rouler avec un 40 tonnes sur du verglas » », confie Thierry Giet, chef de groupe PS à la Chambre et président du parti, évidemment ravi du locataire qui occupe la présidence.

Le plus petit dérapage peut ainsi conduire à l’embardée. Cette remuante fraction N-VA, forte de 27 députés flanqués de 12 élus Vlaams Belang, qui domine de la tête et des épaules le camp des élus néerlandophones, est à tenir impérativement à l’oeil. La valeur sûre du PS s’y emploie déjà.

La longue période d’affaires courantes, qui a souvent laissé le Parlement livré à lui-même, a permis de roder la méthode, de connaître la boutique, de mener un travail d’approche en coulisses. De détecter les possibles chausse-trapes.

Sous son air de force tranquille, André Flahaut n’a qu’une parole : « Je suis le président de tous ! » C’est plus complexe, plus subtil que ça.

La N-VA ne s’y trompe pas. Sa dernière salve déstabilisatrice, décochée au président de la Chambre, est une reconnaissance implicite du boulot abattu par Flahaut. Un hommage courroucé à sa façon de contrarier les manoeuvres des nationalistes flamands. En y mettant toujours les formes.

Auditionner à la Chambre des constitutionnalistes à propos de la révision controversée de l’article 195 de la Constitution, clé de voûte de la mise en £uvre de la réforme de l’Etat ? La demande de la N-VA est rejetée. Renvoyer la discussion sur la scission du BHV judiciaire en commission de la Justice, et l’examen du droit de vote des Belges à l’étranger en commission de l’Intérieur ? La réclamation de la N-VA, qui préside ces deux commissions parlementaires, est repoussée.

L’opposition nationaliste flamande a beau tempêter, Flahaut a objecté sans sourciller : « Le règlement dispose que le président décide du renvoi vers les commissions. Il est logique de renvoyer toute matière relative aux réformes institutionnelles à la commission de la Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions. » Logique d’autant plus implacable que la présidence de cette commission, éminemment stratégique par les temps qui courent, revient de droit au… président de la Chambre.

Dispo et réglo, Flahaut. Qui prend soin, « par acquit de conscience », de faire confirmer ses choix par l’assemblée, par assis et levé. Majorité contre opposition. Forcément. Aux députés N-VA qui crient au manque de fair-play, le président de la Chambre a la riposte toute militaire : « C’est mon règlement et ma bible, et c’est également votre règlement ! »

Ce qui ne l’empêche pas de fermer les yeux sur sa « bible », en de rares occasions. Et de se laisser aller à faire une fleur. Pour Elio Di Rupo, par exemple. Ainsi lorsqu’un après-midi en séance plénière, le Premier ministre PS se fait bousculer par des députés de l’opposition sur le dossier sensible des compétences usurpées : « Monsieur, le président, j’aimerais prendre la parole ! Certaines affirmations sont insupportables, car totalement fausses. » Bon prince, André Flahaut : « Le règlement ne prévoit pas de prise de parole au-delà de la réplique. Mais étant donné que le sujet intéresse de nombreuses personnes… » Ce sera bon pour une fois : « Dorénavant, le gouvernement ne sera plus autorisé à intervenir lors des répliques. »

Il y a de ces petits gestes qui entretiennent l’amitié. De ces petits mots qui rassurent, désamorcent une tension. Di Rupo se fait-il un peu allumer pour son déplacement controversé en vol commercial au sommet de l’Otan à Chicago ? De son perchoir, le président de séance balise l’atterrissage du Premier : « Il faut distinguer l’essentiel de l’accessoire : aucune question ne porte sur la conférence elle-même. » Di Rupo n’a plus qu’à poursuivre sur cette lancée, l’ironie aux lèvres : « Il faut se réjouir de l’intérêt de l’opposition pour ces éléments essentiels à l’avenir de notre pays… »

Pour sûr, le gouvernement passerait de sales quarts d’heure si l’opposition pouvait tenir le perchoir. La preuve par cet incident en séance plénière, le 16 mai : André Flahaut doit confier un moment les clés de son poste au vice-président de l’assemblée, le député N-VA Ben Weyts. Un collègue nationaliste flamand tient justement le crachoir, et la discussion qui ronronnait sur l’ajustement budgétaire, déraille. « Monsieur le président, tout va à vau-l’eau ! Je n’ai jamais vu cela ! On assiste à un truc incroyable ! Voilà un député qui donne lecture de sa question d’actualité. Je vous demande de remettre un peu d’ordre dans la façon de travailler ! » s’alarme le député PS Rachid Madrane.

Un seul être vous manque, et la majorité est désemparée. Scission de BHV, refinancement de Bruxelles, nomination des bourgmestres de la périphérie : il faudra veiller à ce qu’André Flahaut, pas plus que la présidente du Sénat, ne prenne froid d’ici aux vacances parlementaires.

Pierre Havaux

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