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Allocataires sociaux sous surveillance électronique

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le numéro deux de la commission de la protection de la vie privée dénonce l’illégalité et l’opacité du procédé, ses atteintes graves à la vie privée et au secret professionnel.

La suédoise (N-VA – MR – CD&V – Open VLD) n’a rien contre les allocataires sociaux. Elle redouble même d’attention à leur égard. Simplement, elle les préfère encadrés, contrôlés, méritants. Elle les veut aussi vertueux, même malgré eux. Le gouvernement fédéral se donne les moyens de parvenir à ses fins. Parmi les outils technologiques à sa disposition, l’un d’eux est promis à un bel avenir : le Rapport social électronique, fruit d’un échange informatisé de données, permettra à tout CPAS de connaître au préalable le demandeur d’aide sociale qui viendra frapper à sa porte, d’être en possession de son passif avec un autre CPAS par exemple. De quoi débusquer l’un ou l’autre écart ou abus au fil d’un parcours de vie.

Collecter, encoder, enregistrer, croiser, échanger : la lutte contre la fraude sociale est à ce prix. Sauf que la toile qui se tisse met le monde des travailleurs sociaux et des CPAS en émoi. La vie privée, le secret professionnel et le droit au silence auquel ils sont tenus seraient en grand péril. C’est le genre d’états d’âme que les autorités ont coutume de balayer d’un revers de la main en brandissant leur certificat de bonne conduite : l’avis favorable rendu sur leur programme informatisé de traçabilité par la très officielle commission de la protection de la vie privée (CPVP).

Alors, quand le vice-président de ladite commission se met à déchirer le voile et à faire tomber les masques, cela fait mauvais genre. Et plutôt froid dans le dos. Invité à prendre la parole lors d’une soirée-débat organisée, le 5 décembre à Bruxelles, par le collectif Solidarité contre l’exclusion, Stefan Verschuere a sorti la sulfateuse : « Les ministres et l’administration se prévalent des avis de la commission comme de blanc-seings qui n’existent pas. Tout le processus procède d’une illégalité très claire, d’une faute à la fois juridique, politique et morale. » L’homme démonte le mécanisme, empile les pièces à charge, dénonce « les manoeuvres occultes » à l’oeuvre. Comment admettre qu’une matière aussi sensible soit ainsi réglementée par une vulgaire circulaire administrative transposée en arrêté ministériel en septembre 2016 ? « Le ministre Willy Borsus (NDLR : en charge de l’Intégration sociale) a bétonné ce brol en cherchant à officialiser ce qui n’était pas officiel. » Procédé juridiquement douteux, mais qui a la vertu d’échapper aux radars du Conseil d’Etat.

A qui profitera ce « crime » ? Direction la Banque Carrefour de la sécurité sociale, dépositaire désigné de ce vaste répertoire de référence social et gestionnaire des flux électroniques que les CPAS seront priés de consulter et d’alimenter. Cette véritable mine de renseignements en phase de construction ne sera pas réservée qu’aux seuls travailleurs sociaux. Stefan Verschuere pousse la comparaison : « Comme si votre dossier médical se retrouvait entre les mains de l’Inami ou le dossier de votre avocat entre les mains du parquet. » Avant de conclure : « On ne peut plus ronronner comme des chats au coin du feu. Ce qui est en train de se passer est très grave. »

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