© Belga

Alexander De Croo : « Avec un seul poids lourd, on n’y arrive pas »

En un an, il est devenu président des libéraux flamands, a fait tomber le gouvernement fédéral et a mené son parti dans des élections historiques. Alexander De Croo commente ses débuts tumultueux dans la politique belge.

Le Vif/L’Express : Quelle est, selon vous, la raison qui a incité les membres de l’Open VLD à vous élire président à 55 % des voix en décembre 2009 ?

Alexander De Croo : La majorité silencieuse du parti a fait entendre sa voix. C’est d’ailleurs un phénomène que l’on voit se manifester actuellement dans toute la société. Prenez le succès de WikiLeaks, basé sur le fait que des gens réalisent tout à coup qu’on leur a menti pendant des années.

Peu après votre entrée en fonction, vous avez radicalement écarté l’ancienne génération de figures de proue, comme Karel De Gucht et Patrick Dewael. Ils n’étaient même plus les bienvenus à la fameuse concertation du mercredi du parti.

A la fin de l’an passé, mon parti faisait encore partie du gouvernement fédéral. Il m’a dès lors paru logique que ce soient les ministres et chefs de fraction qui participent à la concertation relative à notre travail dans le gouvernement. Quand je convoque une réunion, j’utilise des critères objectifs pour déterminer qui sera invité et qui ne le sera pas. Si vous ne faites pas ça, chaque clan au sein du parti veut déléguer quelqu’un et vous vous retrouvez englué dans des discussions interminables. Je voulais me débarrasser de ce genre de procédure improductive car cette formation de clans était précisément l’un des problèmes de l’Open VLD. Mon but était donc seulement d’introduire un nouveau style de gestion. Rien de plus.

Entre-temps, vous avez malgré tout réintégré les anciens présidents dans la concertation. Parce qu’à présent vous n’avez plus peur d’être éclipsé par eux ?

Cette réintégration n’a rien à voir avec ce genre de crainte. En réalité, depuis les élections, la situation a radicalement changé : à présent, on essaie de former un gouvernement sans nous. Comme nous ne participons plus à la machine gouvernementale, un certain nombre de structures disparaissent et dans ces conditions ce n’est pas une mauvaise idée que d’impliquer plus de personnes dans la concertation stratégique. Cela ne fait d’ailleurs pas vraiment une grande différence car, dès le début de ma présidence, j’ai régulièrement consulté les anciens présidents. Ce qui est nettement plus crucial, c’est que nous abordions les choses autrement sur le plan du contenu, que nous soyons prêts à nager à contre-courant si nécessaire.

En tant que tête de liste au Sénat, vous avez beaucoup mieux presté que le reste de l’Open VLD.

C’est la raison pour laquelle nous devons veiller à ce que mon succès électoral rejaillisse sur le reste du parti. Car on peut certes gagner des élections mais, pour pouvoir convertir la victoire en une politique et en des réalisations, il faut une équipe solide. Avec un seul poids lourd, on n’y arrive pas.

Les élections que vous avez provoquées n’ont pas seulement eu d’importantes conséquences pour votre parti. Vous sentez-vous aussi responsable de l’impasse politique dans laquelle le pays se trouve depuis lors ?

Naturellement pas. Laisser le gouvernement fédéral poursuivre son petit bonhomme de chemin un an de plus n’aurait donc rien résolu. Celui qui prétend que nous sommes responsables de ce qui se passe aujourd’hui se livre à une analyse puérile.

Vous voulez donc vous échapper le plus rapidement possible du gouvernement d’affaires courantes ?

Ce serait bien qu’un nouveau gouvernement fédéral se forme rapidement. Pas tellement pour l’Open VLD mais dans l’intérêt du pays entier. Cette formation, qui s’éternise, a relativement peu coûté à la Belgique… jusqu’à présent du moins, mais les choses sont en train de changer, car les marchés financiers nous prennent à présent dans leur ligne de mire. Non que notre situation budgétaire leur pose problème. Mais le Fonds monétaire international (FMI) et les agences de notation comme Standard & Poor’s se demandent si nous sommes bien capables de réaliser les réformes indispensables notamment dans le domaine du marché de l’emploi et de notre système de pensions.

Nous savons tout de même déjà depuis longtemps que le taux d’activité doit augmenter, que la dette doit diminuer et que notre système de pensions n’est plus tenable, non ? Pourquoi n’a-t-on rien fait pendant des années pour y remédier ?

C’est précisément la raison pour laquelle l’Open VLD a mis un terme au gouvernement fédéral en avril dernier.

Votre parti a pourtant dirigé le gouvernement fédéral pendant huit ans. Pourquoi ne s’est-il pas attaqué à ces problèmes au cours de cette période ?

Allons-nous à nouveau nous mettre à taper sur le dos de la coalition violette ? C’est très à la mode actuellement. Je ne nie pas que des erreurs aient été commises à l’époque des gouvernements violets mais c’est aussi le cas pour les années qui ont suivi. Comparons le palmarès des gouvernements Verhofstadt avec celui de ces trois dernières années lorsque les plus grands critiqueurs de la coalition violette ont été au pouvoir. Depuis 2007, on a reporté toutes les grandes réformes et c’est ainsi que nous nous trouvons à présent le dos au mur sur le plan politique, économique et social. Il est donc grand temps de prendre une autre orientation.

Selon votre père, le ministre d’Etat Herman De Croo, on verra bientôt resurgir le spectre de la tripartite classique et l’Open VLD aura encore diablement du mal à rester en dehors du gouvernement fédéral. Partagez-vous cette préoccupation ?

Non. Il y a deux partis qui ont gagné les élections avec une longueur d’avance : la N-VA et le PS. Ils ont reçu de la population un mandat pour apporter du changement et il est donc aussi logique qu’ils prennent à présent la direction des affaires. Les négociations se déroulent péniblement mais je ne pense pas qu’ils aient déjà épuisé toutes leurs possibilités. Bien qu’on ait naturellement perdu beaucoup de temps entre-temps. Cela vient, selon moi, surtout du fait que les partis qui négocient continuent à se profiler comme si la campagne électorale était encore en cours. Un autre problème essentiel est le manque de leadership. A un certain moment, il faudra tout de même vraiment que quelqu’un se lève et dise : « Je veux devenir Premier ministre et j’entraînerai tout le monde derrière moi. » Bien que cela signifie qu’il devra partiellement renoncer à la réalisation de son programme et essuiera peut-être quelques coups en cours de route.

L’Open VLD n’entrera en aucun cas dans le prochain gouvernement fédéral ?

Encore une fois : nous avons toujours été disposés à collaborer à des solutions possibles. Mais, pour le moment, nous gardons nos distances. Si cette tentative de formation échoue, j’imagine qu’il y aura des entretiens avec tous les partis. Et si on nous invite à donner notre opinion, nous accéderons à cette demande. Car ne vous trompez pas, les libéraux sont des gens très polis [rires].

PROPOS RECUEILLIS PAR ANN PEUTEMANS ET EWALD PIRONET

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire