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Albert II, marionnette ou joker ?

Dans une Belgique en pleine crise institutionnelle, que peut faire le roi ? Mis à contribution par le préformateur, Albert II est-il un médiateur efficace ou subit-il les événements ? Eclairage sur son rôle politique et sur le cercle restreint de ses conseillers officiels et officieux.

Dépassé par les événements, Albert II ? Ou contrarié d’avoir dû renoncer au grand voyage prévu cet été, afin d’assumer son rôle de médiateur dans l’exercice institutionnel en cours ? Ni l’un ni l’autre, selon plusieurs sources. « Le roi ? Je l’ai trouvé en pleine forme, physiquement, moralement et intellectuellement », glisse un président de parti à l’un de ses collaborateurs, à l’issue de son rendez-vous au palais. Dans l’entourage d’un autre négociateur, on confirme : le souverain, souvent mis à contribution ces dernières semaines, ne ménage pas ses efforts et se tient bien informé de l’état des négociations sur la réforme de l’Etat.

« Le roi a l’âge qu’il a, et sa tâche est lourde, mais il s’y s’implique à fond, assure Pierre-Emmanuel De Bauw, porte-parole du Palais. Le staff politique qui le conseille dans sa mission actuelle est très restreint. Rien à voir avec les effectifs d’un cabinet ministériel ! Dans ses démarches politiques, Albert II est surtout assisté par son chef de cabinet, Jacques van Ypersele de Strihou. Yves Costers, adjoint du chef de cabinet, et moi-même sommes également sollicités. Cela dit, les conversations entre le roi et les acteurs politiques se déroulent en général en tête à tête. »

L’impact du colloque singulier

Ce colloque singulier donne-t-il un certain pouvoir politique au roi ? « Il influe parfois sur le cours des choses, estime le sénateur-bourgmestre et ancien ministre PS Philippe Moureaux. Le roi ne transformera jamais Bart De Wever en partisan d’une pérennité du royaume de Belgique, ni Didier Reynders en socialiste. Mais il peut essayer de modifier quelque peu les trajectoires… Et Albert II joue ce rôle avec finesse. »

Aux audiences royales formelles s’ajoutent les contacts téléphoniques avec le monde politique. Là encore, les interventions discrètes de van Ypersele, directeur de cabinet du roi depuis vingt-sept ans – il occupait déjà le poste sous Baudouin -, sont essentielles. Le « vice-roi », comme on le surnomme parfois, dispose d’un réseau politique qui lui permet de s’informer, de faire passer des messages et de tenter d’établir des ponts avec la génération politique émergente. Mais il arrive que le roi appelle directement les hommes politiques avec lesquels il s’entend bien.

« Un président, ça ne marcherait pas » Louis Tobback (SP.A) n’a jamais caché qu’il était républicain. Le ministre d’Etat affirme pourtant, dans une interview récente au quotidien De Morgen, que, « dans les circonstances actuelles, la monarchie conserve son utilité. Un président, ça ne marcherait pas chez nous. Flamands, Wallons, Bruxellois et germanophones ne s’accorderaient jamais sur une personnalité de compromis… En Belgique, à part le roi, il n’y a personne pour débloquer une crise politique. Tous ceux qui, depuis des années, plaident pour une monarchie protocolaire devraient maintenant se taire, vu la situation. Sans le roi, ce pays serait plongé dans une crise profonde ».

Un roi enfermé entre deux digues Aujourd’hui déjà, la marge de manoeuvre du roi dans une crise politique est limitée. Philippe Moureaux confirme : « Le roi agit enfermé entre deux digues. Ses pouvoirs ne sont pas gigantesques, mais ils ne sont pas nuls non plus. La formation du gouvernement est le moment où il a le plus de possibilités de peser sur le cours des événements. Dans notre système, dès que le souverain a avalisé la composition du gouvernement, son rôle se réduit considérablement. »

L’action du roi lors de la formation de gouvernements ou lors de crises politiques ne figure pas explicitement dans la Constitution. Il s’agit plutôt d’une coutume fondée sur l’article 96 de la Loi fondamentale : « Le roi nomme et révoque ses ministres. » La tradition de confier au roi la désignation d’un formateur remonte à 1831, première année du règne de Léopold Ier.

Une influence sur le tempo « Le roi doit évidemment tenir compte du résultat des élections, poursuit Philippe Moureaux. Il confiera un rôle important à ceux qui ont gagné : Didier Reynders et Yves Leterme en 2007, Bart De Wever et Elio Di Rupo cette fois-ci. Le souverain n’est donc pas totalement libre. Mais sur le tempo de la formation du gouvernement, sur le choix exact des rôles donnés aux uns et aux autres, son influence n’est pas négligeable. » Une source, au Palais, ajoute : « Le roi ne peut agir à la légère, sans filet. Ses démarches doivent respecter l’équilibre des forces en présence. Son but, quand il désigne un informateur, un préformateur ou un formateur, ou quand il prolonge leur mission, est qu’un gouvernement se constitue dans des délais raisonnables. Il doit éviter les solutions peu réalistes et ne roule pour personne, sinon pour l’Etat. »

Un entourage trop pro-CD&V ?

Il ne roule pour personne ? L’entourage du roi a pourtant été jugé très pro-CD&V par les leaders politiques des autres partis. Fréquemment consultés par le Palais, les anciens Premiers ministres Wilfried Martens, Jean-Luc Dehaene et Herman Van Rompuy et les diplomates Frans van Daele et Jan Grauls sont tous des sociaux-chrétiens flamands. Albert II a-t-il été, depuis le début de son règne, la « marionnette » de ce parti, comme certains le laissent entendre ? « J’ai toujours réfuté cette image », réplique Francis Delpérée, sénateur CDH. « Va-t-on dire, aujourd’hui, qu’Albert II est la marionnette d’Elio Di Rupo ? La réalité est plus nuancée, plus subtile. Si la négociation est dans l’impasse, le roi est plutôt un joker. L’actualité en témoigne. »

« Aucun choix personnel d’Albert ! » Pour Marc Uyttendaele, professeur de droit constitutionnel à l’ULB, le roi ne prend jamais d’initiative personnelle. Il se contente de faire « ce que lui dictent les acteurs forts du moment ». Le souverain ne conserve-t-il pas, tout de même, le pouvoir de choisir qui seront l’informateur et le formateur du gouvernement ? « Dans les jours qui suivent une élection, quand j’entends les présidents de parti dire qu’ils attendent ce que va décider le roi, c’est à pleurer de rire, répond Marc Uyttendaele. Ils savent tous qu’il n’y a aucun choix personnel d’Albert là-derrière ! Voyons qui sont les derniers informateurs : Louis Michel en 1999, Elio Di Rupo en 2003, Didier Reynders en 2007, Bart De Wever en 2010. On en a tiré une doctrine : l’informateur est l’homme fort du parti qui ne livrera pas le Premier ministre. Oui, bien sûr. Sauf que ce n’est pas une doctrine d’Albert, ça. C’est une doctrine du monde politique. »

Olivier Rogeau et François Brabant

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