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Albert et Baudouin : Cherchez la femme…

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Paola venue d’Italie, et Fabiola d’Espagne. Deux épouses aussi différentes l’une de l’autre que le sont Albert et Baudouin.

Baudouin Ier est bien seul lorsqu’il commence son règne, et tellement mal préparé, qu’il se réfugie derrière Léopold et Lilian. L’homme est meurtri d’avoir été obligé de prendre la place de son père, refuse de saluer ceux qu’il juge responsables de sa destitution, et lui rendrait sans hésiter une seconde le sabre et la couronne.

EN FAMILLE À LAEKEN

La famille s’est agrandie avec la naissance de Marie-Christine le 6 février 1951, et s’élargira encore avec celle de Marie-Esméralda le 30 septembre 1956. Tout le monde vit à Laeken. Deux rois pour un château. Mais une seule femme, qui préside les repas, dirige, « engage et renvoie le personnel, forme la cour et intrigue », comme l’écrit à l’époque l’ancien et futur Premier ministre Achille Van Acker dans ses carnets qui ne seront rendus publics qu’en 1998. « Elle pose des problèmes, écrit-il en 1952, veut participer à tout. » La très belle Lilian, de 14 ans plus âgée, a incontestablement sur Baudouin une influence prédominante, qui s’affirme au fur et à mesure que Léopold prend de la distance. « Il est incontestable que le jeune roi Baudouin donnait l’impression d’être amoureux de la princesse Lilian », écrit, lui, l’historien Evrard Raskin, tandis qu’Achille Van Acker suppute une relation : Baudouin et Lilian, sans Léopold, sont partis pour le Tyrol dans le même compartiment-couchettes, puis sur la Côte d’Azur. Rien de moins. Mais rien de plus, même si la grande complicité qu’ils manifestent en public n’est pas faite pour démentir la rumeur, qui sera même évoquée en conseil des ministres.

Baudouin ne cache pas qu’il partage les mêmes rancoeurs que son père, comme en témoigne l’épisode des obsèques de George VI du Royaume-Uni, en février 1952. Léopold continue à honnir les Anglais et les Américains, qu’il tient pour responsables de sa mise à l’écart pour n’avoir pas choisi leur camp. Le jeune roi décide de ne pas assister aux funérailles, malgré l’insistance plusieurs fois répétée du Premier ministre Jean Van Houtte. Et c’est le prince Albert qui, à 17 ans, se joignit à toutes les têtes couronnées d’Europe présentes à Londres.

QUEL PROTOCOLE ?

La cohabitation à Laeken dure dix ans, malgré les multiples interventions d’hommes politiques de tous bords qui préféreraient Léopold III en Suisse ou au Congo. C’est finalement le mariage de Baudouin et Fabiola qui y met fin en 1960. Les souverains interrompent leur voyage de noces pour rentrer dans un pays secoué par la grève générale contre la « loi unique ». Ce 29 décembre, quand ils arrivent au château de Laeken, c’est pour constater qu’une bonne partie du mobilier a disparu. Il a pris la direction du château d’Argenteuil où Léopold, Lilian, Alexandre, Marie-Christine et Marie-Esméralda se sont installés. C’est la rupture brutale et définitive de Baudouin d’avec son père et celle qu’il appelait « maman », qui n’est plus la seule femme dans sa vie et dans son coeur et qui a peut-être du mal à l’accepter.

Baudouin sera le dernier des trois enfants d’Astrid à convoler. Le 19 avril 1953, Joséphine-Charlotte, la grande soeur, épouse le prince Jean, grand-duc héritier du Luxembourg. Quel protocole ? Pour Lilian, sa place est sans contestation possible aux côtés du père de la mariée, mais les grand-mères, la reine Elisabeth et la princesse Ingeborgh de Suède ne l’entendent pas ainsi, et font savoir qu’elles ne pourront accepter un statut protocolaire inférieur à celui de la princesse de Réthy. La reine Elisabeth arrivera au bras du roi Baudouin.

AU BONHEUR DES PAPARAZZI

En octobre 1958, le prince Albert représente la cour de Belgique aux cérémonies d’intronisation du pape Jean XXIII. Lors d’une réception donnée par l’ambassade, il rencontre l’exquise Paola Ruffo di Calabria, et c’est le coup de foudre. Albert prolonge son séjour, les bientôt fiancés font la Une des magazines et assurent les revenus de bien des paparazzi. On aperçoit Paola dans la décapotable d’Albert, on les voit aux sports d’hiver en Suisse, puis de nouveau en Italie pour une dolce vita qui semble particulièrement convenir au prince, amateur de bonnes tables, de jolies femmes et d’histoires drôles. A chacun sa façon d’évacuer les années difficiles.

Il avait été envisagé que le mariage soit célébré à Rome par le pape, mariage religieux et civil en même temps, puisqu’au Vatican ils ne font qu’un. Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer ce choix : la volonté du pape de marquer la rupture avec le pontificat de Pie XII auquel il était à l’époque reproché son silence sur la Shoa ; la possibilité pour la tante du marié, Marie-José, soeur de Léopold III, et son époux le roi Umberto d’Italie, en exil depuis 1946, de remettre les pieds à Rome ; le souhait de Léopold III de régler tout problème protocolaire et de permettre à Lilian d’être à ses côtés. Le mariage sera finalement célébré à Bruxelles le 2 juillet 1959. De cette union romanesque naît, le 15 avril 1960, le prince Philippe.

LES FIANCÉES DE BAUDOUIN

Le célibat de Baudouin fait aussi les choux gras de la presse qui le fiance à plus d’une reprise : avec Béatrix, future reine des Pays-Bas, avec la princesse Brigitta de Suède, avec Marie-Gabrielle de Savoie, ou avec Isabelle de France, fille du comte de Paris, la préférée de Paris Match. Mais rien de tout cela. Le roi est seul, en souffre, et s’en ouvre au cardinal Suenens, qu’il côtoie depuis longtemps. Celui-ci le met en contact, en mars 1960, avec une religieuse irlandaise, Veronica O’Brien, zélatrice de la Légion de Marie qu’elle a fait essaimer dans toute l’Europe, d’où sa rencontre avec le prélat. Baudouin et Veronica se rencontrent longuement, et le souverain lui confie sa volonté de se marier, pour raisons personnelles et nationales. Pour lui, c’est une révélation. Dans son livre Le Roi Baudouin, une vie qui nous parle, paru en 1995, le cardinal révèle les détails de cette histoire. Il y publie des extraits des carnets intimes de Baudouin qui, en 1991, écrivait : « Merci, Seigneur, d’avoir pu la reconnaître comme ton ange pour moi. Merci du bien que tu m’as fait à travers elle. Merci, Jésus, de l’avoir créée de toute éternité et de m’avoir permis à un certain moment d’entrer dans sa vie. »

L’ABSENCE D’ENFANT

Veronica ne va pas perdre de temps. Elle part, sur la suggestion de Baudouin, pour l’Espagne. C’est un secret absolu, que seul Suenens brisera trente-cinq ans plus tard. Veronica est très efficace. Elle rencontre la directrice d’une école de Madrid qui lui renseigne aussitôt l’existence de l’aristocrate Fabiola de Mora y Aragon, filleule de la reine Victoria-Eugénie. Une rencontre est organisée à Bruxelles, dans l’appartement de Veronica. Puis les jeunes gens se retrouvent à Lourdes, le 6 juillet 1960, où ils se décident. « C’était trop beau, écrit le roi, j’avais envie de pleurer de reconnaissance à l’égard de notre maman du ciel. » Le 16 septembre, les fiançailles sont annoncées à la radio. Baudouin et Fabiola étaient restés d’une discrétion absolue, et ce n’est qu’à ce moment que la future reine est présentée à Léopold III et à son épouse… qui n’est pas reine.

Leur drame sera de ne pas avoir de descendance. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, et d’y avoir cru. En juin 1961, ils sont reçus au Vatican. Au terme de la rencontre, Jean XXIII annonce aux journalistes belges que la reine est enceinte. Mais la grossesse n’aboutira pas, pas plus que les suivantes. Il reste au couple à sublimer cette blessure. En 1979, année internationale de l’Enfant décrétée par les Nations unies, Baudouin s’adresse au millier de gosses reçus à Laeken : « Vous savez que nous n’avons pas d’enfant. Longtemps, nous nous sommes interrogés sur le sens de cette souffrance. Peu à peu nous avons compris qu’en n’ayant pas d’enfant à nous, notre coeur était plus libre pour aimer tous les enfants, absolument tous. »

NOUS EÛMES DES ORAGES

Après la naissance de Philippe, les heureux événements se succèdent chez les princes de Liége. Astrid vient au monde le 5 juin 1962, puis Laurent le 19 octobre 1963. Paola et Albert, président d’honneur de l’OBCE (Office belge du commerce extérieur), voyagent beaucoup… Puis le ciel se couvre sur le Belvédère. Les rumeurs se multiplient sur des aventures de l’un et de l’autre, le divorce se profile. Bien plus tard, alors que le couple semble avoir surmonté la crise, la révélation de l’existence d’une fille illégitime du roi confirme les nuages des années 1960. Delphine Boël, née le 22 février 1968, est bien l’enfant d’Albert et de Sybille de Sélys-Longchamps. Elle porte le nom de l’industriel louviérois Jacques Boël, qui a épousé sa mère. Dans son message de Noël 1999, le roi déclare : « La reine et moi-même avons repensé à la crise que notre couple a traversée il y a trente ans. Cette période de crise nous a d’ailleurs été remise en mémoire tout récemment. » L’aide à la mémoire, c’est la biographie de la souveraine rédigée par le journaliste flamand Mario Danneels (Paola, de la dolce vita à la couronne, éditions Luc Pire) dans laquelle il évoque Delphine.

Albert a implicitement admis l’existence de sa fille, mais n’a jamais reconnu Delphine. A 8 ans, celle-ci a été emmenée par sa mère en Grande-Bretagne. Un double éloignement pour convaincre Paola de renoncer au divorce. Pas de scandale à la cour…

Par Michel Delwiche

Cet article est paru dans l’édition papier du 14 juin 2013

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