Thierry Fiorilli

Aïe, le peuple est de retour

Thierry Fiorilli Journaliste

Mine de rien, en frôlant les murs presque, le terme est rentré en grâce. « Le peuple ». Jusqu’il y a peu, jusqu’il y a quelques mois à peine, jusqu’à ce que la crise devienne bien plus qu’un mot, qu’une ombre, qu’une menace, gouvernants et médias utilisaient plutôt « les citoyens », « les contribuables » ou « la population ».

Mais comme les nerfs sont à vif, l’agglomérat que nous constituons se réduit désormais à « le peuple ». Un quotidien régional a utilisé l’expression dans un éditorial, attisant l’hystérie autour de la libération anticipée de Michelle Martin, cet été : « le peuple », indigné, impuissant, trompé, contre « les élites », laxistes, sans gêne, irresponsables. Olivier Deleuze, coprésident d’Ecolo, l’a dit à la radio cet automne lors d’un débat sur le nucléaire : « Le peuple a le droit de savoir. » Un blog, parmi d’autres, a titré, le 24 octobre, « De Wever peine, Ford ferme, le peuple ne comprend plus. » Marc Lits, de l’Observatoire des médias, a décrit sur RTL le chef nationaliste, après sa victoire à Anvers, comme « le leader charismatique porté par le peuple, qui renvoie directement au peuple. » Et par-ci, par-là, au fil des annonces des possibles/probables mesures d’économies qui sortiront du conclave budgétaire, on oppose « le peuple » aux

a) riches
b) patrons
c) multinationales
d) pouvoirs publics
e) autorités.

Tout ça ramène loin en arrière. A des époques qui coupaient la société en tranches, avec, tout en bas, la dernière avant la croûte, « le peuple ». A un vocabulaire qui permettait de maintenir les distances entre les différentes conditions sociales, les différentes aspirations, les nécessiteux et les privilégiés. A une façon d’esquiver les nuances, en fourrant un maximum d’individus dans un seul sac, alors que « les électeurs », c’est une multitude de choix, ou « la population », c’est l’ensemble formé par différents citoyens. Mais « le peuple », c’est tout le monde et personne.

Ça simplifie tout. Et en période de crise profonde (la nôtre est économique, sociale et morale), la simplification quitte les rangs des seuls partis extrémistes, de droite comme de gauche, pour gagner tous les autres, tous les étages, tous les discours. « Le peuple », « les politiques, « les médias », « les Wallons », « les immigrés »…

Soeurs siamoises du simplisme, les figures « populaires » qui deviennent les icônes, les héros, les guides, les gourous, les acteurs de la société, les leaders « d’opinion », les faiseurs et défaiseurs de rois – version moderne des décapitations de têtes couronnées d’après-révolutions fourches au clair.

Le constat dressé, que faire ? Au moins écouter ce que Dennis Meadows disait au Monde en mars dernier, à l’occasion de la sortie en français de Les Limites de la croissance : « La première chose que je ferais serait d’allonger l’horizon de temps des hommes politiques. Pour qu’ils ne se demandent pas quoi faire d’ici à la prochaine élection, mais qu’ils se demandent : « Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante ans ? » Si vous allongez l’horizon temporel, il est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière. »

Il disait « les gens ». Puisque le discours visait la sortie de crise.

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