Bernard Wesphael © BELGA

Affaire Wesphael: bataille d’experts en médecine légale

C’est une véritable bataille entre experts en médecine légale qui a été menée jeudi soir devant la cour d’assises du Hainaut qui juge depuis lundi Bernard Wesphael, accusé du meurtre de son épouse Véronique Pirotton.

Les faits se sont produits le 31 octobre 2013, entre 20h41 et 22h58, dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo à Ostende. Les experts du parquet soutiennent la thèse d’une mort violente avec intervention d’un tiers alors que les conseillers techniques de la défense soutiennent une intoxication alcoolo-médicamenteuse.

Jan Cordonnier, le toxicologue désigné par le juge d’instruction n’a pas apprécié la contre-expertise de son confrère, le professeur Jan Tytgat, conseiller technique de la défense, « il y a des choses inacceptables dans son rapport et c’est anormal qu’il contredise aujourd’hui son rapport du mois de mars. »

Selon Jan Cordonnier, on ne peut pas mourir en quelques minutes de temps en absorbant les produits pharmaceutiques trouvés dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo à Ostende. Il exclut donc la mort par intoxication alcoolo-médicamenteuse soutenue par les conseillers techniques de la défense.

Les docteurs van Parys et Flore, médecins légistes, ont aussi fait une étude critique du rapport de contre-expertise. « La présentation est presque un parti pris pour désamorcer notre hypothèse d’étouffement. Le docteur Beauthier met en avant des preuves négatives et une expérience scientifique négative ne prouve jamais rien », insiste le docteur Flore qui a trouvé une série d’exemples lors de l’exposé de son confrère wallon. Ce dernier regrette que son confrère n’ait pas fait preuve de plus d’objectivité.

Le docteur Flore considère que si l’intoxication médicamenteuse est retenue, il fait choisir deux hypothèses: le suicide ou l’accident. Selon lui, la première hypothèse ne tient pas la route. « Quelqu’un qui veut se suicider avec des médicaments n’en prend pas cinq ou six mais dix fois plus. De plus, on ne fait pas ça avec quelqu’un dans la pièce car l’autre personne peut venir vous sauver ».

Concernant l’hypothèse accidentelle, l’expert se demande qui aurait mis en contact le sac en plastique avec Véronique Pirotton, si celle-ci ne voulait pas mettre fin à ses jours. Or, il y avait une seule personne dans la chambre, l’accusé.

Le docteur Van Parys a également confirmé qu’il avait fait un rapport verbal à la juge d’instruction, dans les heures qui ont suivi le drame, avant de lui rendre un rapport écrit deux semaines plus tard. Sur base ce ce rapport oral et des informations obtenues des policiers qui avaient interrogé Bernard Wesphael, ce dernier avait été placé sous mandat d’arrêt et inculpé d’assassinat par le juge d’instruction Pottiez.

Les médecins légistes concluent à une mort violente

Les médecins légistes désignés par la juge d’instruction Christine Pottiez estiment que la mort de Véronique Pirotton fut particulièrement violente. Deux autopsies ont été réalisées dans les heures qui ont suivi le drame, une par scanner et une classique, ainsi qu’un examen toxicologique.

Pour les médecins légistes, réunis en collège, il ne s’agit pas d’un suicide. Cette position a été contestée par une contre-expertise qui sera présentée devant la cour jeudi en fin d’après-midi.

Le docteur Geert Van Parys est arrivé dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo à Ostende, le 1er novembre 2013 durant la nuit. Sa consoeur urgentiste, appelée pour prodiguer les premiers soins, avait noté « mort suspecte » dans son rapport d’intervention après avoir pensé, lors de son arrivée, à une mort par overdose.

Après avoir relevé la présence de médicaments, dont de nombreux anti-dépresseurs, dans la chambre, le légiste s’est penché sur le corps de la victime, qui avait été légèrement déplacé afin de faciliter l’intervention des secours dans la salle de bains exigüe, où d’autres médicaments ont été trouvés.

Le cadavre a ensuite été transféré à Bruges pour être autopsié à deux reprises. C’est d’abord le docteur Casselman, radiologue, qui a procédé à une autopsie par scanner. Le corps a été coupé virtuellement en 28.000 tranches de haut en bas et l’examen a mis en évidence les lésions qui seront constatées plus tard lors de l’autopsie classique: formation d’un caillot sanguin dans l’aorte principale alors que le coeur s’était arrêté de battre, série d’hémorragies sous cutanées sur le corps et le crane, hémorragies dans le larynx et subcapsulaire du foie, sur lequel une déchirure de plus de deux centimètres a été relevée, ce qui a provoqué l’écoulement d’une grande quantité de sang dans l’abdomen et le bassin.

Les docteurs Van Parys et Flore ont ensuite procédé à l’autopsie classique. Bernard Wesphael soutient que son épouse s’est suicidée mais cela ne correspond pas aux conclusions des médecins légistes, qui ont procédé à un examen interne et externe du corps. Si de nombreuses lésions « récentes » ont été relevées sur le corps de la victime, des hémorragies ont été constatées à l’intérieur de celui-ci, notamment au niveau de la gorge. « Nous avons trouvé plusieurs foyers hémorragiques étendus. Lors du second examen, nous avons constaté une accumulation anormale de sang dans les tissus mais la structure des os n’était pas endommagée. »

Une fracture linière du sternum a été constatée au niveau du rattachement des troisième et quatrième côtes sans fractures costales. Un grand foyer hémorragique a été constaté au niveau pulmonaire mais les voies respiratoires ne contenaient pas de sang.

Dans l’estomac, les médecins n’ont trouvé aucun médicament alors que la thèse du suicide avec médicaments n’avait pas été écartée au moment où l’autopsie a débuté.

Le reste des organes était en état normal tandis qu’une présence de spermatozoïdes a été constatée dans la sécrétion vaginale prélevée chez la victime.

Les caractéristiques qui motivent la mort violente

Après avoir pris connaissance de l’autopsie virtuelle et de l’examen toxicologique, le collège des médecins légistes a conclu que la mort de Véronique Pirotton, femme de constitution normale, fut violente.

Plusieurs caractéristiques motivent leur diagnostic: violence brutale au niveau de la calotte crânienne et du nez, violence compressive sur la partie supérieure du cou et de la bouche avec obstruction des voies respiratoires et violence au niveau de la cage thoracique et du ventre. Les médecins légistes relèvent aussi la présence de lésions de défense sur les mains de victime, ce qui accrédite la thèse d’une violente dispute conjugale. Les experts concluent « à une mort par asphyxie ou par suffocation causée par des tiers et considérée comme un étouffement ».

Lors d’une interruption de l’audience, l’avocat de la famille Pirotton a déclaré que la vision des photos de l’autopsie a été particulièrement pénible pour les proches de la victime, présents jeudi. Quant à l’accusé, il ne les a pas regardées.

L’analyse toxicologique exclut toute intoxication médicamenteuse

Pour une personne qui n’est pas habituée à consommer de l’alcool, les concentrations de médicaments retrouvées dans le sang de la victime peuvent être toxiques. Cependant, pour une personne « tolérante à l’alcool » et « habituée à prendre des médicaments », aucune concentration létale n’a été constatée, a révélé l’analyse toxicologique réalisée à la demande du juge d’instruction par le professeur Cordonnier.

L’expert a rappelé que le sang de la victime contenait 2,99g/l d’alcool (environ 14 verres de bière). L’accusé, au moment du prélèvement, réalisé vers 4h du matin, présentait 0,13g d’alcool par litre de sang, ce qui équivaudrait à une concentration de 0,93g/l lors des faits, soit cinq verres de bière ou deux verres de cognac.

Il a également énuméré les concentrations de médicaments retrouvés chez Véronique Pirotton, précisant que seules de petites traces (0,1mg) de tous ces produits avaient été retrouvées dans les 102 grammes de contenu gastrique. « Cela signifie qu’il n’y avait donc pas de comprimés et que cette personne n’a pas vomi. » Les concentrations des substances trouvées dans le sang sont aussi toutes inférieures à la dose létale.

Par ailleurs, le rapport toxicologique exclut l’hypothèse d’un épisode de delirium tremens chez la victime, avancée par Bernard Wesphael. « Ce n’est pas possible parce qu’un delirium tremens est propre à une carence ou à un manque d’alcool. Par exemple, si un alcoolique chronique arrête de boire, cela peut survenir après 24 ou 72 heures. »

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