L'image publique de Tariq Ramadan est définitivement écornée. © ERIC FOUGERE/GETTY IMAGES

Affaire Tariq Ramadan : en Belgique, « il y avait des rumeurs, des on-dit »

Les accusations contre Tariq Ramadan se multiplient. L’électron libre de la galaxie des Frères musulmans était-il un prédateur sexuel ? L’analyse d’un ancien de la confrérie.

Les masques tombent. La face sombre de Tariq Ramadan apparaît au grand jour, pas seulement pour son dénigrement obsessionnel de l’Occident mais pour des faits de moeurs : deux plaintes pour viol en France, une autre en préparation en Belgique, les témoignages d’élèves mineures, entre 1984 et 2004, quand il enseignait dans le secondaire à Genève, en Suisse, qui décrivent une perversion assez semblable à celle dont il aurait usé, plus tard, pour attirer des jeunes femmes dans son lit. Que la justice établisse ou non la réalité des viols, qu’il nie, l’image de l’homme public est définitivement abîmée car sa vie privée apparaît comme le contre-exemple de ses enseignements sur le respect et la pudeur.

Tariq Ramadan a une longue histoire en Belgique. A la fin des années 1980, il s’y est introduit via le réseau des Frères musulmans. Câlinant tour à tour les laïques et les cathos, il s’est faufilé dans leurs murs, ULB et université Saint-Louis, pour toucher la jeunesse musulmane éduquée. Son relais était l’association Présence musulmane, aujourd’hui tombée en déshérence. Ses derniers aficionados se trouvent au European Muslim Network qui, au vu du scandale, a décidé d’annuler l’événement dont il devait être la vedette, à Bruxelles, le 24 novembre.

 » Il y avait des rumeurs, des on-dit « , confirme Michaël Privot, auteur de Quand j’étais Frère musulman «  (La Boîte à Pandore, 2017). Les pages que l’islamologue consacre au gourou frériste sont d’une frappante actualité. Sur le fond de son message,  » il ne propose rien d’autre qu’un conservatisme très traditionnel, mais compatissant, qui se retient d’imposer ses moeurs à d’autres au nom du droit à sa propre autonomie et à sa différence, tout en conjuguant une sorte de fierté identitaire musulmane avec une focalisation sur le wellness individuel.  »

Le déballage actuel sur la vie sexuelle présumée de Tariq Ramadan vous étonne-t-il ?

Michaël Privot, auteur de Quand j'étais Frère musulman.
Michaël Privot, auteur de Quand j’étais Frère musulman.© Jean-Marc Quinet/Reporters

C’est quelque chose dont on avait entendu parler. A la lecture du passage du livre de Henda Ayari sur son viol dans une chambre d’hôtel par un intellectuel musulman (NDLR : J’ai choisi d’être libre. Rescapée du salafisme en France, Flammarion, 2016), on s’est dit  » c’est lui « , on n’en a pas douté. Il y avait des rumeurs, des on-dit, mais aucun témoignage direct. La communauté est réticente à aller plus loin en vertu du principe, élémentaire, qu’on ne peut pas accuser sans preuve et parce qu’on sait que le frère Tariq a des tas d’ennemis. Cependant, ce qui semble émerger de l’ensemble des témoignages publiés jusqu’à présent, c’est qu’apparemment, il n’a pas eu de comportement inapproprié dans son premier cercle. Les personnes qui étaient dans la sphère Présence musulmane n’ont, semble-t-il, rien vu, en toute bonne foi. Donc, si même ne fût-ce qu’une partie de ce dont il est accusé est avérée, on pourra dire qu’il a bien caché son jeu, malgré des accusations apparues sur Facebook dès 2008.

A une certaine époque, Ecolo, le CDH et le PS se l’arrachaient…

A la fin des années 1990 et au début des années 2000, c’était le musulman dont beaucoup avaient rêvé : né ici, intellectuel, donnant l’impression de réfléchir à un islam d’ici, donnons-lui sa chance… Au fil du temps, on s’est aperçu qu’il était hyperconservateur, que seul l’emballage avait changé, mais qu’il était difficile de porter sur lui un jugement sévère. Il y a certainement eu un manque de recul dans le monde politique et parmi les intellectuels qui ont fait la route avec lui. En juin dernier, cependant, ses propos sur l’excision  » qui ferait partie des traditions de l’islam et dont il ne faut pas parler avec les non-musulmans « , ont provoqué un vrai scandale dans la communauté musulmane américaine. C’est un signe de plus qui aurait dû attirer l’attention sur un aspect très problématique de son discours, mais qui n’a pas été vraiment relevé en dehors de cercles féministes issus de la diversité.

A-t-il encore des soutiens en Belgique ?

Quelques individus, seulement. Lorsqu’il est parti enseigner à Oxford, Présence musulmane s’est écroulée car cette dynamique n’était fondée que sur le star system. Néanmoins, lorsque Tariq Ramadan revient en Belgique, il remplit toujours les salles.

Ce scandale va-t-il avoir un impact sur les Frères musulmans ?

Non, car il avait une relation un peu particulière avec eux. Il ne faisait pas partie de la structure tout en se présentant comme le plus fidèle héritier de son grand-père, Hassan al-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères musulmans. A l’époque, il ne s’entendait pas avec l’Union des organisations islamiques de France (NDLR : UOIF, aujourd’hui Musulmans de France), à laquelle il reprochait, par exemple, de ne pas être assez ferme sur certaines questions, mais il participait quand même aux Rencontres annuelles des musulmans de France au Bourget. Il a toujours été assez ambivalent à l’égard de l’organisationnel des Frères musulmans – et réciproquement. Ce qui n’a pas empêché la seconde génération de l’UOIF de se former auprès de lui, faute d’avoir pu trouver des cursus de formation en français répondant à ses attentes. Il sera intéressant de voir comment ces jeunes cadres vont réagir au désastre qui s’annonce. Cela vaut également pour les membres de la Ligue des musulmans de Belgique qui, comme en France ou en Suisse, ont été largement influencés par ses idées.

Tariq Ramadan sera-t-il désormais persona non grata ?

Il semble relativement acquis qu’il a perdu quasi toute légitimité en tant que prédicateur moral et que peu d’institutions musulmanes, fréristes ou non, prendront désormais le risque du ridicule en l’invitant à s’exprimer sur de tels sujets. Si la Foire musulmane devait encore être organisée à Bruxelles par les Frères, ils ne mettront plus Tariq Ramadan en tête d’affiche pour remplir leurs salles. Il va donc probablement entrer dans un purgatoire, pour un temps certain, en tout cas dans l’espace francophone, peut-être ailleurs également. Aura-t-on un effet  » Kevin Spacey/Netflix  » au sein de l’événementiel islamique ? Ramadan a de la ressource et il pourrait encore rebondir, en partie grâce au dévouement inoxydable de son ultime carré de fidèles dont il ne faut sous-estimer ni la résilience ni l’intéressement à faire perdurer le plus longtemps possible la marque  » Tariq Ramadan « .

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