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Accords secrets : Jambon s’est exprimé en territoire conquis

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Catholique et nationaliste, le cercle étudiant Katholiek Vlaams Hoogstudenten Verbond a formé nombre de leaders politiques flamands. Les derniers en date dirigent aujourd’hui la N-VA, Bart De Wever, Liesbeth Homans ou Jan Jambon. Histoire d’un club sélect qui a épousé l’évolution du Mouvement flamand

Le Katholiek Vlaams Hoogstudenten Verbond (KVHV), dont il est question depuis la révélation par le site apache.be des propos que lui a formulé le ministre de l’Intérieur N-VA, Jan Jambon (« Il y a des accords secrets entre partenaires du gouvernement fédéral sur les articles de la Constitution à soumettre à révision »), avait fait parler de lui le dimanche 25 mai dernier. Ce soir-là, la victoire de la N-VA aux élections régionales, fédérales et européennes pousse quelques membres gantois de l’organisation étudiante au bord du délire. Devant une caméra de la VRT, ils se mettent à scander : « Du cyanure pour le FDF ! ». Les images font le tour des médias au grand dam du KVHV. Car la N-VA est rendue responsable de ces débordements. Dans un communiqué, le KVHV de Gand en rejette la responsabilité sur les médias : « En tant qu’association d’étudiants nationalistes flamands et après quelques litres de bière, nos membres fêtaient la victoire dans un état euphorique. Nous regrettons qu’un moment comme celui-là ait été filmé. L’intention des médias en diffusant des nouvelles fausses est des plus claires : salir la réputation de la N-VA ».

L’histoire du KVHV a commencé à Louvain il y a plus d’un siècle. À la fin du XIXe siècle, la tension entre étudiants francophones et flamands est vive. En 1888, elle aboutit à la création d’un journal d’étudiants flamingants, Ons Leven. La rédaction adhérera en 1902 au Vlaams Verbond, l’organisation faîtière rassemblant les étudiants flamands à Louvain. Un an plus tard, le leader catholique flamand Frans Van Cauwelaert (1880-1961) crée l’Algemeen Katholiek Vlaams Studentenverbond pour tous les écoliers et étudiants flamands. Lorsque cette association est contrainte de restreindre son rayon d’action aux universités, elle adopte le qualificatif un peu solennel de « hoogstudent » (« étudiant supérieur ») et devient le Katholiek Vlaams Hoogstudenten Verbond (KVHV) encore en usage aujourd’hui.. Selon l’historien louvaniste Louis Vos, le KVHV était un outil approprié pour donner forme à « la vocation des étudiants » : « jouer un rôle au sein du Mouvement flamand ». Les premières années, l’histoire de l’association est marquée par de nombreuses manifestations héroïques, par des publications interdites et par le renvoi de leaders de Louvain. Des faits moins dramatiques qu’il n’y paraît : les « bannis » allaient tout simplement poursuivre leurs études à Gand.

Dès les années 1920, les étudiants flamingants du KVHV avaient perdu nombre de leurs illusions à l’égard de l’État belge. Au début des années 1930, les idées d’une « Revolution von Rechts » (« révolution de droite »), venues d’Allemagne, touchent le monde des étudiants flamands. Dans la deuxième moitié de la décennie, cette idéologie contribue à rapprocher les nationalistes flamands conservateurs et les catholiques flamingants. Lorsqu’une section du KVHV est créée à Gand en 1938, l’association adopte une nouvelle devise : « God ter ere et Vlaanderen ten bate ! » (« En l’honneur de Dieu et au profit de la Flandre ! »). L’objectif est toujours « l’émancipation flamande » mais aussi la formation d’une « coalition anticommuniste de catholiques ».

Après la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle le KVHV reste à l’écart de la collaboration, la revendication de l’émancipation flamande est explicitement inscrite dans un contexte belge. Cet aspect est inacceptable pour les vrais flamingants. Le jeune étudiant en droit Hugo Schiltz (1927-2006) est furieux de ce qu’il considère comme de la lâcheté, ici et là, de la part du Mouvement flamand, y compris au sein du KVHV. Dans son journal intime, il qualifie Ons Leven de « journal de serviteurs ». Avec quelques complices, il crée au sein du KVHV le groupe de danses folkloriques De Kegelaar (« Le Quilleur ») qui devient l’un des premiers noyaux de flamands radicaux dans le nouveau mouvement étudiant. « Il nous reste beaucoup de quilles à faire tomber ». Malgré le scepticisme de Hugo Schiltz et des siens, le KVHV modéré a connu une période étonnamment faste. L’association est le creuset par excellence des étudiants doués pour la politique, passionnés par la culture et avides de discussions de comptoir. Il en émane une dynamique non seulement politique mais aussi culturelle.

Conflit communautaire classique

La force d’attraction du KVHV est illustrée par la fameuse photo de sa direction lors de l’année académique 1959-1960 : Wilfried Martens en tant que président et, derrière lui, la fine fleur de ce qui constituera plus tard l’élite flamande. Le mouvement étudiant est alors le terrain de recrutement rêvé pour la politique. Mais, comme souvent, l’apogée de l’association annonce aussi son déclin. La nouvelle génération, la première du baby-boom, n’a pas connu le flamingantisme romantique d’avant 1940. Elle prend position dans ce qui parait encore comme un conflit communautaire classique : des professeurs francophones exigent « le très grand Bruxelles de l’avenir » (une agglomération bruxelloise « bilingue » qui s’étendrait loin dans le Brabant flamand), en plus de l’extension des facilités jusqu’à Louvain. Le KVHV prend le leadership de l’opposition étudiante à ce projet. Ses membres scandent « Leuven Vlaams » et « Walen Buiten ». Et ils obtiennent gain de cause. Dans le Standaard, l’éditorialiste Manu Ruys applaudit le fait que pour la première fois dans l’histoire du pays, un gouvernement est tombé « à la suite d’une revendication purement flamande exprimée par une droite flamande unanime ». Il a cependant tort de parler d’unanimité puisque le KVHV se divise sous l’effet de la nouvelle opposition gauche-droite. L’hebdomadaire de droite ‘t Pallieterke ira jusqu’à poser la question : « En quoi ce Katholiek Vlaams Hoogstudenten Verbond est-il encore catholique et flamand ? »

Le mouvement a perdu le feu sacré. Au cours des années 1970 et 1980, il ne donne plus l’impression d’unir « les » étudiants. En cause aussi, le fait que les nouveaux leaders étudiants, clairement de gauche, s’appuient sur les cercles des facultés, de plus en plus populaires. Ceux-ci ont repris le rôle des clubs (régionaux) en tant qu’épine dorsale de la vie étudiante organisée. L’étudiant à la casquette et au ruban est marginalisé. Pas tant sur le plan politique (la Volksunie est toujours fort populaire), mais surtout sur le plan socio-culturel. Dans les milieux étudiants « progressistes », les rassemblements chantants sont devenus aussi suspects que les chants flamands qu’on y entonne. La nouvelle domination de gauche est tellement généralisée qu’une réaction de la droite classique est devenue inévitable.

Dans les sphères politiques, Hugo Schiltz opte pour le compromis à la belge : en 1977, la Volksunie approuve le pacte d’Egmont. Cela provoque la scission des flamingants « purs » qui fondent le Vlaams Blok sous la direction de Karel Dillen. Une évolution parallèle se produit dans les milieux étudiants. Le premier président du KVHV anversois, Edwin Truyens, fonde un club radical : le Nationalistische Studentenvereniging (NSV).

Bart De Wever rédacteur

Au cours des années 1980, le KVHV attire davantage d’étudiants modérés que le NSV: des sympathisants de la Volksunie, mais aussi des membres du CVP gagnés à la cause flamande. Le KVHV, opposé à « la gauche », se profile clairement comme catholique. Lors de la visite du pape Jean-Paul II en Belgique et aux Pays-Bas en 1985, alors que les groupes anti-papaux se multiplient, le KVHV est l’un des moteurs du Comité de la jeunesse flamande pour la visite papale. Sans que personne n’y prête attention, le cercle d’étudiants va de nouveau jouer un rôle central dans la formation de l’élite politique flamande. Lors de l’année académique 1991-1992, l’un d’entre eux, Koen Kennis, aujourd’hui premier échevin N-VA à Anvers, rédige en tant que président du KVHV de Louvain l’éditorial de Ons Leven, sous le titre « La politique de partis : bien peu pour nous » . À la page suivante, on retrouve la première expérience rédactionnelle d’un nouveau rédacteur : Bart De Wever. Le titre : « Entretien avec Hugo Schiltz. » Du début à la fin, l’article parle de … la politique des partis. Aujourd’hui encore, il est fascinant de lire comment le futur président de la N-VA réclame de l’ancienne icône de la Volksunie de rendre des comptes, avec des questions qui peuvent être plus longues que les réponses.

Les interviews politiques se succèdent. La nouvelle génération de membres du KVHV, De Wever en tête, façonne déjà sa propre idéologie via des articles et des interviews dans Ons Leven. A travers un entretien, Paul Belien, qui deviendra journaliste et collaborateur de quotidiens américains conservateurs, dessine les contours d’une nouvelle stratégie flamande : « Il faut que le Flamand réfléchisse en terme de pouvoir purement machiavélique. Nous devons commencer à penser comme un impérialiste français. » De Wever a bien retenu la leçon. Le futur président de la N-VA fustige le mouvement étudiant classique dès 1992-1993, dans sa première préface en tant que rédacteur en chef : « N’est-il pas ridicule de descendre dans la rue pour dénoncer des augmentations minimes de minerval et les prix pratiqués par les restaurants universitaires ? » Sa vision globale des structures du pouvoir louvaniste porte déjà en son sein les germes de son analyse ultérieure de la construction belge : les organisations étudiantes louvanistes officielles constituaient à ses yeux une « dictature rouge », dominée par des dirigeants de gauche qui n’avaient plus grand-chose à voir avec les véritables préoccupations des étudiants. La formule « courant de fond » n’était pas encore utilisée. Mais le raisonnement était déjà bel et bien là, quoiqu’encore à l’état brut. Dans un autre article, Bart De Wever s’emballe en raison du fait que le KVHV (« une organisation catholique flamande honnête ») ait du mal à maintenir ses finances en équilibre, alors que, « situation absurde, l’université catholique accorde des subsides à des associations telles que le Roze Drempel (NDLR : le « Seuil Rose », l’association pour la défense des étudiants homosexuels). Déjà, le jeune militant conclut son intervention en latin : « O quae mutatio rerum » (« Ô, comme les choses peuvent changer. »)

Indépendance et culture

Mais chez Ons Leven et au KVHV, les choses évoluent. Outre De Wever, d’autres noms, connus aujourd’hui, apparaissaient dans le mouvement : Piet De Zaeger, l’actuel directeur politique de la N-VA, à l’époque fasciné par le sort des Kurdes, Fons Duchateau, le successeur de Liesbeth Homans (elle-même une ancienne du KVHV) à la présidence du CPAS d’Anvers. Bart De Wever transmet Ons Leven à un groupe d’étudiants proches des idées libérales conservatrices diffusées notamment par l’économiste et philosophe politique Friedrich Hayek. La fascination pour ces conceptions est devenue par après la ligne idéologique de la N-VA, suivie aujourd’hui par la grande majorité du mouvement flamand : l’antisocialisme comme élément essentiel de l’idéologie.

Et pendant que le KVHV se modernise progressivement – en 2002, Barbara Pas, future députée du Vlaams Belang, devient la première femme candidate à la présidence du KVHV de Louvain -, le mouvement renoue progressivement avec la vie estudiantine classique. Il n’en reste pas moins très catholique. Pour la nouvelle génération du KVHV, la Flandre doit être non seulement indépendante mais aussi une « patrie avec une culture de référence dont nous pouvons être fiers ».

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