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Accord BHV : menaces voilées sur les francophones

BHV scindé, l’incident communautaire qui pourrit la vie du pays depuis 40 ans ne sera pas clos. Première victime : le MR, qui y perd le FDF. D’autres pourraient suivre : maïeurs en tête, les francophones de la périphérie resteront à la merci de chausse-trapes. Tout ça pour ça ?

BHV scindé, le pays s’est mis à respirer. Les négociateurs (PS, MR, CDH, CD&V, Open VLD, SP.A, Ecolo, Groen !) ont un temps plané : francophones et Flamands au coude-à-coude, ont remporté la mère de toutes les batailles communautaires. Bruxelles-Hal-Vilvorde, l’arrondissement maudit, ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Affaire classée ? Elle l’est douloureusement pour le MR : les réformateurs libéraux ont choisi d’y sacrifier une alliance de 18 ans avec un FDF intransigeant jusqu’au bout. Affaire réglée ? Elle ne l’est pas forcément pour les francophones qui bénéficient de facilités linguistiques en périphérie, leurs bourgmestres en tête. N’en déplaise aux bulletins de victoire des partis francophones, la fin des ennuis n’est pas garantie.

La fin définitive des tracasseries en périphérie ? A d’autres…

Linkebeek, Wezembeek-Oppem, Crainhem, Rhode-Saint- Genèse, Wemmel, Drogenbos : ces six communes à facilités linguistiques, majoritairement francophones, restent ancrées en Flandre. Le gouvernement flamand continuera d’y faire la loi. D’y appliquer « sa » loi : en l’occurrence, les circulaires « Peeters », « Martens », « Vandenbrande. » Depuis 1997, elles empoisonnent le quotidien du francophone en périphérie bruxelloise, en lui imposant de demander systématiquement une traduction française de tout document administratif. Les facilités linguistiques ont beau sortir renforcées de la scission de BHV : elles restent jusqu’à nouvel ordre sous l’emprise de ces circulaires enquiquineuses. L’habitant de la périphérie n’a pas eu ce plaisir, un temps envisagé, de ne plus devoir déclarer sa qualité de francophone qu’une fois tous les six ans. Moralité : les circulaires flamandes gardent leur capacité de nuisance. Rien n’interdirait à un ministre régional flamand chatouilleux sur la question (le ministre de l’Intérieur N-VA Geert Bourgeois, au hasard) d’en rajouter une couche.

Les victimes pourront certes toujours s’en plaindre. En allant désormais frapper à la porte du Conseil d’Etat dans sa configuration bilingue, chambres réunies. Sacré progrès : les juges flamands, systématiquement sourds aux doléances francophones, ne seront plus seuls à avoir voix au chapitre ; les magistrats francophones y seront en nombre égal pour examiner le recours de l’administré mécontent. Voilà qui devrait augmenter les chances de gagner à ce qui sera malgré tout une loterie. Sans garantie (voir l’encadré).

L’instant du soulagement pour l’électeur francophone en périphérie ? Oui, à moins que… Les habitants des communes à facilités de la périphérie vont pouvoir dormir sur leurs deux oreilles. Leur droit de voter pour des candidats bruxellois, sans avoir à se déplacer, sort renforcé de l’épreuve. Ce régime électoral spécifique sera même garanti dans la Constitution et ne pourra être modifié que par une loi spéciale. Un acquis en béton. Mais ce ne serait pas le premier du genre à se retrouver malmené. Lors de la réforme de l’Etat de 1988, Jean-Luc Dehaene (CVP) avait réussi à revendre aux francophones le bétonnage des facilités linguistiques dans la Constitution. « Ce qui n’a pas empêché l’émergence des circulaires du gouvernement flamand, qui vident ce régime de sa substance et trahissent ainsi l’esprit de la loi de pacification communautaire », pointe le directeur général du Crisp, Vincent de Coorebyter.

L’heure de la délivrance pour un bourgmestre francophone désigné en périphérie ? A voir… L’heureux élu désigné par un conseil communal après le scrutin de 2012 dans une commune à facilités linguistiques sera logé à la même enseigne. Le gouvernement flamand garde la main sur son sort : recalé, le maïeur verra son cas renvoyé devant l’assemblée générale du Conseil d’Etat. Les juristes francophones y auront autant leur mot à dire que leurs collègues flamands sur la nomination ou le rejet du bourgmestre en balance. La loterie, là aussi.

Le temps de l’apaisement pour le justiciable francophone de Flandre ? A clarifieràL’avenir exact de l’arrondissement judiciaire de BHV, synonyme pour le justiciable francophone de droits en matière d’emploi des langues devant les tribunaux, reste entouré de flou. Parquet scindé (un pour Bruxelles, un pour Hal-Vilvorde), juridictions dédoublées : c’est encore le brouillard.

Le coup d’arrêt à la frontière linguistique reconvertie en frontière d’Etat ? Oui, en principe… Les partis francophones en faisaient un abcès de fixation. Scinder BHV, c’était rompre « le dernier pont » qui enjambe la frontière linguistique, ouvrir la voie à la reconversion de la frontière linguistique en une frontière d’Etat, doublée de la perspective d’une Région bruxelloise enclavée dans une Flandre indépendante. Un corridor territorial qui relie la Wallonie à Bruxelles avait été imaginé pour faire barrage. Les francophones ont abattu d’autres cartes, en empilant les obstacles. « Les six communes à facilités sont dotées d’un statut juridique, linguistique et électoral distinct des autres communes du Brabant flamand. Ces régimes dérogatoires garantissent la porosité de la frontière linguistique. C’est un point crucial à faire valoir auprès de la communauté internationale dans l’optique d’une éventuelle partition du pays », décode Christian Behrendt, constitutionnaliste à l’université de Liège. Le sénateur CDH et constitutionnaliste Francis Delpérée brandit sa théorie des quatre cercles protecteurs : « Un : les 19 communes de la Région linguistique bruxelloise. Deux : les 19 communes bruxelloises et les six communes à facilités de la périphérie, liées sur le plan électoral.

Trois : les 19 communes bruxelloises, les 6 communes à facilités et les 29 autres communes de l’arrondissement de Hal-Vilvorde : les voix francophones y seront globalisées pour la cooptation de quatre sénateurs francophones. Quatre : l’articulation du Brabant flamand et de la communauté métropolitaine impliquant Bruxelles. » Le genre d’écheveau pas simple à détricoter en cas de tentation séparatiste.

Pierre Havaux

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