Pathokh Chodiev © ANDREY RUDAKOV/GETTY IMAGES

A Waterloo : la bienveillance à l’égard des Chodievs

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Dans le dossier naturalisation de la famille Chodiev, le commissaire de la police de Waterloo a fait preuve d’une extrême bienveillance, en tout cas à l’égard de l’épouse de l’oligarque. C’est ce qui ressort du rapport du Comité P qui vient d’être présenté devant la commission d’enquête parlementaire sur le Kazakhgate.

Les Chodiev ont-ils bénéficié d’appuis déterminants à Waterloo pour devenir belges à la fin des années 1990 ? Voilà des semaines que les parlementaires de la commission Kazakhgate s’arrachent les cheveux pour tenter de démêler le vrai du faux. Avec, en toile de fond, un bras de fer entre le commissaire et chef de corps de la police de Waterloo et plusieurs de ses ex-agents. Avec aussi l’ombre de l’ancien bourgmestre Serge Kubla (MR) qui plane sur cette affaire.

On sait que Kubla, qui est également le voisin direct des Chodiev au bout de l’avenue du Manoir à Waterloo, a écrit des courriers très appuyés en faveur du milliardaire ouzbèke, notamment au président de la commission naturalisation de la Chambre de l’époque, Claude Eerdekens (PS). Mais, avant cela, a-t-il fait pression sur son commissaire de police pour qu’il fasse rédiger des rapports positifs sur la connaissance du français et l’intégration des Chodiev, dans le cadre de l’enquête « naturalisation » du parquet de Nivelles ?

La question est devenue obsédante. D’autant qu’il apparait qu’un agent brigadier avait signé des rapports négatifs, à l’époque, et affirme aujourd’hui s’être fait doubler par son supérieur hiérarchique, le commissaire Michel Vandewalle. Fin janvier dernier, Le Vif/L’Express et De Standaard avaient retrouvé cet ancien policier de Waterloo, qui avait confirmé avoir établi des rapports négatifs sur Chodiev et sa femme Goulnora Chodieva. Confronté à ce témoignage, Vandewalle s’était défendu de toute immixtion. Bref, c’était la parole de l’un contre celle de l’autre. La commission parlementaire a alors confié l’enquête au Comité P, l’organe de contrôle des services de police qui dépend du parlement.

De son rapport remis ce 8 mars à la Chambre, il ne ressort rien de vraiment neuf concernant la naturalisation de Patokh Chodiev. L’agent S. confirme avoir rédigé un premier rapport négatif, en 1996, faisant référence à des informations alarmantes de la Sûreté de l’Etat. Le Comité P ne se prononce pas sur l’authenticité du rapport. Il souligne cependant qu’aucune trace des infos de la Sûreté mentionnées n’a été trouvée et qu’il n’était pas habituel que les services de renseignement fassent ce genre de rapport. Quant au PV positif subséquent attribué au commissaire Vandewalle, que le journal De Morgen avait révélé en 2002, il apparaît bien qu’il s’agit d’un faux, selon les enquêteurs du Comité P auditionnés aujourd’hui. Qui avait intérêt à confectionner un tel faux ? Sur cette question, les débats de la commission se sont poursuivis à huis clos. Apparemment, cela n’a pas permis non plus de déboucher sur de nouveaux éléments.

Bref, on n’est pas plus avancé, si ce n’est que les enquêteurs du Comité P ont mis en évidence, devant la commission parlementaire, le témoignage d’un autre policier, aujourd’hui inspecteur et qui était également agent à Waterloo en 1996. Celui-ci explique qu’il a, lui aussi, été amené à rendre visite à Patokh Chodiev dans le cadre de la procédure de naturalisation. Selon lui, Chodiev ne parlait pas le français, ne savait pas qui était le roi des Belges ni quel événement historique s’était déroulé à Waterloo… Cela n’a pas empêché finalement le commissaire-adjoint Fernand Fagot de rendre un avis positif sur Chodiev le 10 décembre 1996. C’est cet avis qui figure dans le dossier de naturalisation du milliardaire, à la Chambre.

L’enquête du Comité P sur le cas de Goulnora est plus éclairante. Ici, l’intervention personnelle du commissaire Vandewalle est avérée. Au départ, en 1997, c’est encore l’agent S. qui a rédigé les premiers rapports, négatifs, car la connaissance du français par Madame Chodieva se révélait insuffisante. Aux enquêteurs du Comité P, cet agent a affirmé qu’au deuxième rapport négatif, Vandewalle lui a « fait le gros doigt » et signifié que le bourgmestre Kubla n’était pas content.

Ensuite, il est établi que le commissaire s’est emparé lui-même du dossier, rédigeant des PV positifs en 1998 et 1999. Il justifie son intervention par des informations qu’il aurait eues en 1998, selon lesquelles les Chodiev faisaient l’objet de menaces de mort. C’est néanmoins le seul et unique dossier de naturalisation dont il s’est occupé… Comme l’a fait remarquer ce mercredi la députée Karine Lalieux (PS), il est évident, ici, qu’on a l’impression d’une extrême bienveillance de la part de Vandewalle à l’égard de Madame Chodieva. Laquelle bénéficiera finalement d’une « option de patrie » qui lui permettra d’obtenir la nationalité belge, et ce malgré un nouveau rapport négatif rédigé par un autre agent.

Devant le Comité P, Vandewalle a reconnu avoir eu, à l’époque, plusieurs conversations avec Serge Kubla concernant les Chodiev. Mais c’était pour savoir ce qu’il en pensait en tant que voisin direct, dit-il. Ces contacts n’avaient rien à voir avec la naturalisation, sauf pour en apprendre davantage sur la bonne intégration de la famille Chodiev dans le quartier. En 2012, pour un portrait que nous préparions sur Patokh Chodiev, Serge Kubla nous avait confié, un peu distraitement, que son voisin ouzbèke parlait couramment le Russe, l’Anglais et le Japonais, mais qu’il ne parlait pas bien le Français, pas au point de tenir une conversation. L’a-t-il aussi dit à son commissaire, à l’époque de la naturalisation ?

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