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A vos marques, prêts, tweetez !

Pour la première fois, la fièvre des réseaux sociaux a gagné les champions participant à des Jeux olympiques. C’est bon pour leur image, pour leur moral, mais gare : sur Twitter, ils jouent parfois gros…

Michael Phelps, entre deux longueurs :  » J’aime pas avoir le hoquet  » ; Amaury Leveaux, médaillé olympique français du 4 x 100 mètres nage libre, qui s’emballe pendant la cérémonie d’ouverture –  » On est beeeauuuu !!!!? » ; Mark Cavendish, surpris en plein doute prémonitoire  » Je suis nerveux « , quelques heures avant de voir anéanti son rêve d’or olympique. Bienvenue à London 2012, premiers Jeux de l’ère des réseaux sociaux, immense arène où les doigts galopent sur le clavier aussi vite que les guibolles sur le tartan… Parfois glissant : Voula Papachristou, spécialiste grecque du triple saut, rêvait du grand bond pour sa première participation aux JO. Elle a mordu la poussière avant même de débuter la compétition.

Le 25 juillet, ses baskets à peine posées sur le sol londonien, l’athlète âgée de 23 ans confiait à ses followers, comme le jargon désigne les abonnés à un compte Twitter :  » Avec autant d’Africains en Grèce, au moins les moustiques du Nil occidental mangeront de la nourriture maison.  » Une allusion nauséabonde aux migrants africains installés sur le sol hellène. Une boulette monumentale, surtout. Assaillie de critiques, celle qui ne cache pas, y compris sur les réseaux sociaux, sa sympathie pour l’extrême droite, a aussitôt effacé ses propos, plaidant la mauvaise plaisanterie. Mais personne n’a ri, et le Comité olympique grec a lancé la foudre : exclue ! En dépit de ses excuses publiques, Papachristou a été priée de s’envoler illico pour Athènes… où elle pourra gazouiller à loisir tout l’été.

La sanction, sévère, a eu valeur d’avertissement. Car, à l’image des hommes politiques, les sportifs entretiennent une relation passionnelle avec l’ultra-populaire site de microblogging créé en 2006 par l’Américain Jack Dorsey. Sur les 10 490?athlètes sélectionnés aux Jeux, plus de 500 disposent d’un compte Twitter, soit un sur vingt. Mais pas n’importe lesquels. Parmi eux, Usain Bolt (690 379?abonnés), Novak Djokovic (1 107 065), Serena Williams (2 921 853), Oscar Pistorius ou encore Hope Solo, emblématique gardienne de but de l’équipe de foot féminin US et addict assumée.

 » Les sportifs sont soumis à une discipline très stricte et à de nombreux temps morts. Cela favorise sans doute leur goût pour cet espace de spontanéité qu’est Twitter « , se réjouit le sociologue du sport Philippe Liotard. Un jus de fruit entre deux entraînements, un décollage qui s’éternise, une compétition qui s’annonce, et les voilà qui bavardent comme à la maison de leurs abdos, des performances de leurs rivaux ou de la couleur du ciel. Les fans adorent, trop heureux de tutoyer l’intimité – parfois factice, les comptes étant souvent alimentés par des tiers – de leur idole. Les sponsors ne peuvent qu’applaudir ce baromètre en temps réel de la popularité de leur champion, surtout quand celui-ci trouve le moyen de citer le nom de leur marque préférée… Loin de jouer les garde-fous, l’entourage des athlètes aussi use et abuse du minimessage : on a vu les compagnes de Bradley Wiggins et Christopher Froome s’écharper sur la blogosphère lors de la dernière édition du Tour de France. A Roland-Garros, Judy Murray, mère du n° 4 mondial et twitteuse effrénée, s’était déchaînée en découvrant les  » jambes élégantes  » et le  » petit short en Lycra  » de Guy Forget. Ponctuant d’un  » Mmmm  » son message calibré à la lettre près… Quelques mots de plus, et le Français finissait en ragoût.

Pour le Comité international olympique, la mission est délicate. Il s’agit d’embrasser l’irréversible révolution des réseaux sociaux, tout en essayant de contrôler les envolées de l’imprévisible petit oiseau bleu. A Londres, plusieurs permanents ont été chargés de surveiller, chaque jour, la littérature des champions. Ceux-ci ont reçu une liste de recommandations, martelées par leurs comités nationaux : les tweets doivent être rédigés à la première personne, sans rien dévoiler de la compétition ou des équipes concurrentes. Langage et images vulgaires ou obscènes sont proscrits, de même que toute référence à des partenaires commerciaux, sous peine de sanction allant jusqu’à l’exclusion. Tant pis pour les chantres d’un Net insouciant et sans contrainte. Les candides maladresses de Caroline Wozniacki, ex-n° 1 mondiale de tennis –  » Je passe la soirée dans mon canapé. […] Je ne sais pas si j’ai vraiment faim ou si j’ai juste envie d’un truc dans ma bouche  » – amuseront toujours. Tant mieux, peut-être, pour le bon déroulement des épreuves.

Car le premier Twittergate des Jeux l’a rappelé : 140 petits signes peuvent peser très lourd dans la carrière d’un champion. En infiltrant la blogosphère sans filet de sécurité – rôle habituellement tenu par leur attaché de presse, agent, ou entraîneur – les athlètes amusent, agacent, fissurent les lois du politiquement correct, s’humanisent. Mais ils posent aussi le pied sur un champ de mines. On n’est pas sûr que les sponsors se précipitent pour collaborer avec Papachristou avant un moment. En 2010, la nageuse australienne Stephanie Rice, triple médaillée d’or à Pékin, avait perdu un juteux contrat avec Jaguar (et sa magnifique voiture), après un tweet aux accents homophobes visant l’équipe sud-africaine de rugby. A une échelle moindre, la réaction à chaud de la nageuse française Laure Manaudou (27 349 followers) après la tuerie de Toulouse, où elle invoquait la responsabilité des jeux vidéo dans les fusillades, avait déclenché l’ire des internautes et brouillé une image alors en pleine convalescence. Surprise par l’ampleur de la polémique, la star des bassins avait choisi de fermer son compte… Avant de le rouvrir quelques heures plus tard.

Les plongeuses canadiennes parient sur leur popularité Alors, gazouiller ou ne pas gazouiller ? Là n’est pas la question, selon Laurence Dacoury, attachée de presse des judoka et coureur français Teddy Riner et de Christophe Lemaître, tous deux réfractaires à la twittomania :  » Il s’agit d’un outil à manier avec précaution. Je n’encouragerai jamais un athlète à ouvrir un compte si cela ne correspond pas à sa nature. Et je le lui déconseillerai si cela lui est imposé par un sponsor, comme cela se produit parfois. Mais si cela lui fait plaisir et ne le distrait pas,pourquoi pas ?  »

A chacun de peser le pour et le contre, donc, surtout en période de compétition. A Londres, les plongeuses canadiennes ont lancé un pari pour savoir laquelle d’entre elles compterait le plus de followers, tandis que l’équipe australienne de cyclisme reste à distance de la blogosphère. Andy Murray a, lui aussi, levé les doigts du clavier durant la quinzaine.  » Je ne veux pas passer trop de temps sur Twitter. C’est comme rester devant l’ordinateur vingt à trente minutes avant un match. Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée… « , a déclaré le tennisman anglais, désormais champion olympique.?

Géraldine Catalano

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