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A quoi servent des églises vides ?

Des églises désertes, mais qui font partie du patrimoine, et dont l’entretien devient impayable. Alors qu’on manque de crèches, de logements, d’espaces à partager…

La chapelle Notre-Dame du Marché, située sur la Grand-Place de Jodoigne, a été rendue au public en octobre dernier. Cet édifice, datant du XIVe siècle, et reconstruit après un incendie au XVIIe, est classé depuis 1958. Il était dans un triste état quand sa rénovation a été décidée en 2001. Une convention passée entre la fabrique d’église, propriétaire des lieux, la Ville, la province et l’Institut du patrimoine wallon a permis de réaliser le montage financier. Les travaux (2,2 millions d’euros) ont bénéficié de plus de 1 million de subsides de la Région wallonne. La chapelle restera consacrée au culte, mais en partie seulement : une salle de 150 places a en effet été aménagée dans la nef pour des événements culturels.

600 églises classées

« Ce qui est important, c’est qu’elle soit sauvée, et qu’un maximum de gens puissent y avoir accès », se réjouit Isabelle Simonis, présidente du groupe PS au parlement wallon. Avec le député Daniel Senesael, PS également, elle a déposé une proposition de décret visant à faire réaliser par la Région le cadastre des monuments religieux classés : qui en est propriétaire, l’état de conservation, la fréquentation moyenne, les périodes d’ouverture, les travaux urgents à entreprendre… La Région est en effet appelée à largement subsidier la sauvegarde des biens classés… dont 600 églises et chapelles (sur 2 800 biens au total). L’aide est de 60 %, un taux qui monte à 95 % s’il s’agit de bâtiments classés comme patrimoine exceptionnel de la Wallonie, ce qui est le cas pour 38 édifices religieux wallons. Bref : ça coûte !

Le cadastre devrait permettre de planifier les travaux de conservation et de rénovation de ces monuments dédiés au culte, mais aussi d’entamer une réflexion sur leur avenir et sur une éventuelle nouvelle affectation, dans un contexte où la pratique religieuse est en baisse constante. Chaque année, un budget d’environ 5 millions d’euros est consacré aux bâtiments religieux classés par les services wallons du patrimoine (sans compter la cathédrale de Tournai, dont les travaux devraient coûter au total plus de 200 millions d’euros) et, après tout, il s’agit de l’argent de la collectivité.

Notre patrimoine à tous

« Nous devons, dit Isabelle Simonis, respecter tous les moments importants de la vie de nombreuses personnes qui sont liés à ces lieux. Mais il ne peut pas s’agir de simplement actionner la machine à sous. C’est notre patrimoine à tous, qui doit être accessible à tous. On doit pouvoir poser la question de la désacralisation et de la réaffectation. »

« On ne pourra pas tout sauvegarder, explique de son côté Nicole Plumier, directrice de la communication à l’Institut wallon du patrimoine. Il y a des bâtiments abandonnés, d’autres qui ne sont fréquentés que par une poignée de fidèles. Une réaffectation peut être indispensable pour empêcher que le bâtiment se dégrade, avec le risque d’une explosion des coûts de maintien et de rénovation. Mais on ne pourra pas non plus transformer ces centaines d’églises en salles de spectacle ou en lieux culturels ! Il faut des projets, avec des financements tenables, des pistes réalistes et respectueuses des gens et de l’architecture à la fois. En outre, des églises peuvent ne pas avoir de valeur architecturale importante, mais constituer un signe dans le village, dans le quartier. »

L’entretien de ces bâtiments surdimensionnés pour la pratique actuelle représente un véritable casse-tête pour les propriétaires (fabriques d’église, communes, CPAS, provinces, évêchés, fondations, ASBL ou congrégations…). L’Eglise de Belgique n’est pas opposée par principe aux réaffectations, mais elle souhaite qu’une partie du site soit conservée pour le culte, et que le bâtiment conserve une fonction sociale : musées, logements, écoles…

Une halle aux primeurs

Ce n’est pas vraiment ce qui est prévu pour l’église Sainte-Catherine à Bruxelles, au coeur d’un des quartiers les plus cotés pour ses maisons de bouche : elle devrait être transformée… en halle aux fruits et légumes. Une petite chapelle serait maintenue à l’entrée de l’édifice désacralisé. A Watermael-Boitsfort, l’église Saint-Hubert devrait abriter une trentaine de logements sociaux, mais la partie où se situe le ch£ur resterait consacrée au culte.
A Liège, où de nombreux édifices religieux ont été abattus, l’église Saint-Antoine est devenue une salle d’exposition du musée de la Vie wallonne, et la chapelle du Vertbois, une salle de réunion pour le Conseil économique et social de la Région wallonne (CESRW). A Huy, l’église Saint-Mengold (XIIe siècle ) a été désacralisée en 1979 et sert à des concerts, à des spectacles et à des expositions.
A Mons, la chapelle du Béguinage a été réaffectée en salle de réunion pour la Région wallonne, et la chapelle Saint-Georges, sur la Grand-Place, accueille des expositions temporaires. A Tournai, la chapelle de l’ancien séminaire épiscopal a fait l’objet d’un aménagement léger pour servir à des concerts et autres événements culturels. Dans l’église de la Madeleine, le Logis tournaisien devrait aménager vingt-trois appartements, et l’idée, tout de même un peu sacrilège, d’y faire un parking au rez-de-chaussée a été abandonnée.

A Namur, l’église Saint-Jacques, inoccupée depuis vingt ans, a été récemment rachetée par un promoteur qui souhaite y implanter un Cook & Book, une librairie-restaurant (ou l’inverse ?), tandis que l’église Notre-Dame deviendra un espace culturel dédié, entre autres, au chant choral dont Namur est la capitale.

Une mosquée ?

A Marche-en-Famenne, l’ancienne église des Jésuites a été transformée en hôtel-restaurant. A l’intérieur, il ne subsiste plus qu’un petit bout du choeur pour rappeler ce qu’était le bâtiment.

Dommage, estime Nicole Plumier, qui préfère que les aménagements dans ces bâtiments classés soient réversibles, comme c’est le cas dans l’église dominicaine de Maastricht, transformée en librairie mais qui pourrait sans problème, après démontage des rayonnages, retrouver son état originel.

Pour l’Eglise catholique, la priorité doit rester à la pratique religieuse. Catholique, protestante ou orthodoxe (comme c’est le cas à Sainte-Catherine à Bruxelles). Mais de là à transformer une église en mosquée ? Les projets évoqués à Arlon ou à Mouscron n’ont pas suscité l’enthousiasme. La friteuse dans le confessionnal fait moins peur que le tapis de prière dans la nef.

MICHEL DELWICHE

Un club gay

A Liège, l’annonce de la mise en vente de l’église du Saint-Sacrement avait suscité l’intérêt de promoteurs belges et néerlandais, et on prêtait même à l’un de ces derniers l’intention d’installer dans le vénérable édifice un club gay ! L’église a finalement été rachetée pour 300 000 euros en 2003 par ses fidèles, sollicités par l’abbé traditionaliste Jean Schoonbroodt, et est devenue le temple du chant grégorien. Mais son fonctionnement ne bénéficie d’aucun subside.

M. D.

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