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A quoi sert vraiment Elio Di Rupo ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le Premier ministre désamorce les bombes de la N-VA. Tente de faire rempart de son corps contre les nationalistes mais reste leur allié objectif. Réagit aux diktats budgétaires de l’Europe, crispant la gauche. Attaqué tous azimuts, Elio Di Rupo se défend. S’il est utile, c’est de façon sacrificielle. Car certains pensent déjà à son remplacement.

A un peu moins d’un an des élections législatives, régionales et européennes du 25 mai 2014, Elio Di Rupo est sous pression à tous les étages. Il doit finaliser la réforme de l’Etat et son volet le plus délicat, la refonte de la loi de financement. Poussé dans le dos par l’Europe, son gouvernement est acculé à réaliser de nouvelles économies. La facture est lourde : 4 milliards d’euros. Des réformes structurelles sont en souffrance : celle du monde financier et bancaire, l’encadrement des salaires des top managers… Il en est ainsi depuis le début : le premier Premier ministre francophone depuis 1974 subit l’actualité et réagit à la va-vite, de l’affaire Michelle Martin aux dotations royales revues à la baisse. Il temporise, délègue à ses ministres quand il ne renvoie pas la patate chaude aux partenaires sociaux pour l’harmonisation des statuts ouvrier-employé, le BHV social. Le tout sous la pression de son parti, au sein d’une gauche en plein désarroi.
« Il faut imaginer la situation dans laquelle on se trouve : ce sont des bourrasques, dans tous les sens, déclare au Vif/ L’Express Laurette Onkelinx, vice-Première ministre socialiste. C’est le premier gouvernement auquel je participe où je connais autant de difficultés. Vous n’imaginez pas combien le capitaine et les équipes doivent être forts. » « Si le gouvernement peut réaliser les trois objectifs qu’il s’est assigné – la réforme de l’Etat, la rigueur budgétaire et le réformes structurelles -, alors nous nous donnons une chance de montrer que l’on peut gérer l’Etat, prolonge Didier Reynders, vice-Premier ministre réformateur. Ensuite, c’est de Flandre que la réponse viendra… » Car la menace plane toujours: en début de semaine, un sondage Le Soir/RTL-TVi plaçait les nationalistes flamands à 35% des voix et le PS en chute libre dans son fief wallon.

En pleine tempête, certains doutent. Se demandent s’il est vraiment l’homme de la situation. Et déjà, on pense au nom de son successeur. A quoi sert vraiment Di Rupo ? Et pourrait-on s’en passer ? Voici les raisons pour lesquelles ces deux questions s’élèvent.

Il pacifie le pays. Temporairement, seulement…

Carl Devos, politologue à l’université de Gand : « C’est une pacification sérieuse, mais temporaire. Tout le monde admet que la sixième réforme de l’Etat est importante, mais qu’elle est aussi très complexe, trop aux yeux de certains, et qu’elle n’est pas définitive. La récente discussion sur le coût salarial initiée par le ministre-président flamand Kris Peeters en est la preuve. Le résultat de la N-VA en 2014 sera déterminant: si elle obtient un gros score, bien des choses seront remises en question. »

Il assainit le pays, en fâchant « sa » gauche

Dix-sept milliards d’euros. C’est le montant des économies réalisées à ce jour par le gouvernement d’un Premier ministre de gauche. Forcé et contraint par une crise financière sans précédent, un endettement redevenu chronique et les ukases européens.
« Tous les Premiers ministres doivent se placer au-dessus de la mêlée sans se couper de leur parti, commente le politologue Pierre Vercauteren. Il y a une répartition des rôles entre lui, Laurette Onkelinx, garante de la vertu socialiste au gouvernement, et Paul Magnette, qui prône l’engagement à gauche toute au niveau du parti. A eux de garder ce lien avec la gauche, la FGTB… C’est extrêmement difficile dans un contexte de crise économique. D’autant que l’on ne sait pas quand aura lieu la reprise de la croissance que tout le monde attend. Cela aura un impact sur les résultats du scrutin de 2014. »

Il est un rempart contre la N-VA. Et son allié objectif

Derrière la course contre la montre d’Elio Di Rupo se cache un objectif, exprimé explicitement lors du conseil des ministres du 6 décembre 2011: il faut tout faire pour aider les partis flamands à vaincre la N-VA en leur donnant les arguments du travail accompli.
« Di Rupo est un pur produit de la vie politique belge avec son sens du compromis, analyse Pierre Vercauteren. Lors de la formation du gouvernement, il s’est trouvé face à un mur avec Bart De Wever. Cela lui a été assez loin. Ses discours au Parlement en témoignent tant ils ont parfois été d’une grande dureté à l’égard de la N-VA. « Vous parlez, nous agissons ! » C’est rare de voir un Premier ministre viser aussi explicitement l’adversaire. Le paradoxe, c’est que cela sert en même temps la N-VA qui a toujours présenté en Flandre l’Etat PS et le roi Di Rupo comme des repoussoirs. »

Sa méthode est lente, trop lente…

C’est évidemment délicat pour les principaux intéressés d’en parler de vive voix alors que la tripartite au fédéral se bat dans la tempête. Mais le style Di Rupo irrite. Et en vue de 2014, on jouera – déjà – l’homme.

« Compte tenu de la difficulté des dossiers, Elio Di Rupo doit beaucoup travailler au massage des esprits, constate Pierre Vercauteren. Il tente de mener ses partenaires en douceur vers une solution. » « Elio Di Rupo est un homme patient, renchérit Carl Devos. Son style est très différent de ses prédécesseurs Guy Verhofstadt et Jean-Luc Dehaene, peut-être plus proche de celui de Wilfried Martens. C’est un homme qui attend, qui prend beaucoup, beaucoup de temps. Mais j’ai parfois l’impression qu’il ne montre pas vraiment que c’est lui le chef. »

Il communique jusqu’à l’obsession. Et irrite

« Communicateur dans l’âme, Di Rupo a dû trouver un nouvel équilibre, analyse Pierre Vercauteren. On sent d’ailleurs qu’il a eu des difficultés à trouver ses marques. Tout est calculé, sous contrôle. Il n’aime pas improviser. C’est un produit d’une communication politique francophone avec beaucoup de nuances. En Flandre, il y a une culture plus anglo-saxonne, les médias sont beaucoup plus mordants, incisifs. S’ajoute à cela son problème de maîtrise du néerlandais : il connaît la langue parfaitement mais il n’en a pas la couleur, l’accent, malgré tous ses efforts, à cause de ses acouphènes. »

« Quand Di Rupo communique, c’est comme s’il était le président de la République belge, constate Carl Devos. Au Parlement, lorsqu’on l’attaque personnellement, il prend un petit café, il ne bouge pas, il sourit, puis il réplique sèchement. Comme un président… »

Il rêve d’un Di Rupo II. Mais d’autres veulent un « vrai chef »

Vaincre la N-VA. Pour reconduire rapidement une tripartie au fédéral et éviter une nouvelle longue crise politique. Tel serait le scénario idéal pour l’après-2014.

« Un Di Rupo II? Il ne dira jamais que c’est son ambition, analyse Carl Devos. Ce serait un cadeau pour la N-VA. Il dira toujours qu’il n’est demandeur de rien, mais soyons honnêtes, c’est ce qu’il veut, c’est ce qu’il a toujours voulu. Et la chance est réelle que ce soit encore possible au lendemain des élections de 2014. Je pense que les partis actuellement au gouvernement ont envie de faire des coalitions symétriques, au fédéral et dans les Régions. Même du côté flamand. Je n’exclus pas que l’on tente de faire partout des coalitions sans la N-VA, même en Flandre. »
« Elio Di Rupo vit dans l’absence de certitude sur l’après-2014, enchaîne Pierre Vercauteren. Un Di Rupo II ? C’est une perspective qu’il maîtrise moins parce qu’il est francophone. Si cela devait arriver, ce serait à nouveau par la conjonction d’événements atypiques. Mais on sent bien que du côté flamand, reprendre la fonction de Premier ministre fait partie de l’agenda politique. Et attention: si la N-VA confirme ou progresse au-delà des 28 %, la formation d’un gouvernement sera à nouveau très difficile ! »
L’action de Di Rupo sera jugée à l’aune du score des nationalistes. Le risque est grand qu’il n’en sorte pas indemne.

L’enquête dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec les avis de Charles Michel, Didier Reynders, Laurette Onkelinx, Johan Vande Lanotte et le CDH.

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