GARE DE LIÈGE-GUILLEMINS, oeuvre de l'architecte Santiago Calatrava, inaugurée en 2009 © RUDY LAMBORAY/BELGAIMAGE POUR LE VIF/L'EXPRESS

À qui profitent les chantiers liégeois?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Depuis 2008, 20 chantiers d’envergure se sont concrétisés à Liège. Soit un investissement (majoritairement public) qui dépasse le milliard et demi d’euros. Cette manne céleste en période de crise a surtout profité à quatre entreprises liégeoises. Mais les travailleurs de la région en bénéficient de moins en moins.

Les innombrables lapins du parc de la Boverie ont trouvé un nouveau terrain de jeu. Planches, câbles, détritus, gravillons… Nullement perturbés par ce capharnaüm remplaçant des jardins autrefois bien entretenus, les mammifères déambulent au milieu des travaux. Comme tous les Liégeois, sans doute se sont-ils habitués aux chantiers. Depuis une décennie, la Cité ardente a entamé sa mue urbaine.

La rénovation du musée Boverie, qui touche à sa fin, fut précédée par la gare des Guillemins et son esplanade, la tour des finances, les quais de Meuse, l’Opéra Royal, le Théâtre (ex Emulation), la Médiacité… Cette liste est en train d’être complétée par la construction d’une nouvelle passerelle traversant la Meuse, la réhabilitation de l’ancien site universitaire du Val Benoît et l’édification du méga-hôpital du Mont Légia.

Liège n’a plus le même visage. Un lifting qui lui a coûté plus d’un milliard et demi d’euros, si l’on fait le compte des vingt réalisations majeures qui se sont concrétisées depuis 2008 (voir chronologie ci-après).

Et encore : ce montant (1.506.175.000 euros plus précisément) est inférieur aux sommes réellement déboursées. D’une part car il s’entend hors TVA. D’autre part parce que les chiffres communiqués ne reprennent que rarement les honoraires des architectes et des bureaux d’étude. Puis les décomptes finaux, effectués parfois plusieurs années après les inaugurations, ne sont pas tous bouclés. Sans oublier les suppléments qui ont à coup sûr germé çà et là.

Une recette bien gardée

Ainsi, le coût de la restauration de l’Opéra royal de Wallonie avait dans un premier temps été estimé à 27 millions. Lors de l’inauguration en 2014, on annonça un dépassement de 4 millions. Tandis qu’aujourd’hui, la facture s’élève à 40 millions selon la Ville. Un exemple parmi d’autres…

Surtout, obtenir les budgets exacts est presqu’aussi difficile que dénicher la recette des boulets sauce lapin. Ceux qui connaissent les ingrédients n’aiment point dévoiler leurs proportions. Un surprenant manque de transparence, alors que 19 de ces 20 chantiers sont financés par des deniers provenant d’une manière ou d’une autre de la poche du contribuable.

Seule la Médiacité fut en effet à 100% privée. Certes, on doit la tour des finances à l’entreprise cotée Befimmo, mais le budget (95 millions) sera largement remboursé par la location annuelle (5,9 millions pendant 27,5 ans) du SPF Finances. D’autres, comme le cinéma Sauvenière, le Mont Légia ou la Cité Miroir, impliquent aussi des investissements privés, mais restent majoritairement subsidiés.

Le fédéral, plus gros investisseur

Des subsides qui proviennent en partie de l’Europe. Des fonds Feder ont été octroyés à 9 dossiers, soit un investissement cumulé d’environ 70 millions. La Région wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles ont elles aussi mis la main au portefeuille (pour plus de 125 millions, 165 si l’on ajoute le nouveau bâtiment de la RTBF). Le fédéral est moins intervenu, mais a dépensé plus (près de 800 millions). La Ville est celle qui s’en sort le mieux (+/- 30 millions).

Ces sommes furent principalement affectées à deux types de développement. Neuf projets sont nés le long de l’axe Guillemins-Médiacité. Dix ont enrichi l’offre culturelle liégeoise, qui pourrait désormais être difficilement plus complète. La Cité ardente n’avait jamais connu un tel essor en si peu de temps. À qui a-t-il profité ?

Celles qui ont empoché la plus grosse partie de ce milliard et demi d’euros sont des entreprises aux racines liégeoises. Quatre d’entre elles en particulier. D’abord Galère, qui fait partie du groupe BAM depuis 2002 mais qui reste installée à Chaudfontaine : elle a participé à 10 de ces 20 chantiers. Ensuite Moury, société familiale basée à Jupille : sept réalisations à son actif. Wust, firme malmédienne entrée il y a 30 ans dans le giron de Besix, la talonne avec 5 projets. Égalité avec Duchêne, filiale des Français de Besix depuis 1990, dont le siège se situe à Modave.

Ces quatre leaders trustent le marché. Seuls le groupe bruxellois CFE et sa filiale BPC parviennent à rivaliser (4 réalisations). Les autres (Eraerts, De Nul, Eloy…) n’héritent que de miettes. La palme du grand absent revient enfin à Franki, autre acteur liégeois de la construction. Pourtant bien implanté dans la région, il n’a plus rien réalisé de public le centre-ville depuis un bail.

Par Mélanie Geelkens

La suite dans le dossier « Liège, les dessous d’une métamorphose » (20 pages d’enquête), dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– les ficelles pour décrocher un marché à Liège

– l’omniprésent bureau Greisch

– les prochaines années de chantier

– la chronologie d’une mue urbaine

– Théâtre de Liège, Opéra de Wallonie, Grand Curtius : l’inégal succès des piliers culturels

– La nouvelle identité des quartiers

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