Damien Thiéry jouit, à la Chambre, des services d'un attaché parlementaire très... discret. © FILIP DE SMET/BELGAIMAGE

A Linkebeek, un échevin MR payé au noir

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

A Linkebeek, entre 2012 et 2014, Paul Sedyn, un échevin libéral non nommé, a été payé par ses collègues sans être déclaré. Il est ensuite devenu l’attaché parlementaire de Damien Thiéry, député fédéral MR et bourgmestre jamais reconnu de la commune à facilités. Sauf qu’il ne travaillait pas pour la Chambre, mais toujours comme échevin. Du travail au noir au détournement d’argent public…

Un faux attaché parlementaire rémunéré comme faux échevin dans une commune faussement néerlandophone mais pas vraiment francophone. Rien n’est simple, à Linkebeek ! Un sac de noeuds communautaires où il faut pourtant s’enfoncer pour comprendre l’origine de ce qui ressemble beaucoup à une affaire d’emploi fictif, mêlée de travail au noir et de détournement de fonds publics.

Dans cette entité flamande où 80 % des 4 700 habitants parlent français, il n’y eut, pendant longtemps, pas de bourgmestre officiel. Le député fédéral MR (et ex-FDF/DéFI) Damien Thiéry essaya, toutefois. Par tous les moyens, puisque le résultat des scrutins ne suffisait pas : recours multiples au Conseil d’Etat, élections anticipées en 2015, plainte européenne… Dix ans de combat, sans résultat. L’intransigeance des ministres flamands de l’Intérieur successifs (en particulier de l’actuelle, la N-VA Liesbeth Homans) n’aida pas.

Entre 2007 et juillet 2017, le collège communal dut par conséquent se passer de l’un de ses échevins. Telle est la règle dans les communes à facilités : tant qu’un bourgmestre n’y est pas nommé, il prend la place d’un échevin. Linkebeek avait toutefois trouvé la parade, en demandant à un conseiller communal de filer un coup de main sur certains dossiers.

Le dernier à avoir exercé cette  » fonction  » fut le MR Paul Sedyn (MR), officieusement en charge des travaux publics entre 2012 et l’été 2017. Sympa de sa part ? L’intéressé n’a pas travaillé bénévolement. Les échevins officiels (Damien Thiéry, Yves Ghequière et Valérie Geeurickx) avaient accepté de reverser chacun entre 200 et 300 euros par mois à leur aidant. Entre 2006 et 2012, deux autres élus (Donatienne Croonenberghs et l’Ecolo Franklin Audag) avaient bénéficié du même mécanisme. Une idée, paraît-il, de Damien Thiéry. Celui-ci confirme qu’un  » mécanisme de solidarité  » a bien été mis en place  » pour contourner la politique flamingante « . Mais il se cabre à l’évocation des montants.  » Je n’ai pas à m’exprimer là-dessus. Puis, il faudrait déjà trouver des preuves que de l’argent a été versé […] Et même s’il y a eu des versements, c’est à titre privé, car dans les petites communes, les échevins ont un travail à côté.  » Ses deux collègues en ont effectivement un, dans le secteur privé. Mais le sien – député fédéral – est rémunéré par des deniers publics…

Car cette solidarité a beau être sympathique, elle n’en reste pas moins illégale. Du travail au noir : aucune cotisation sociale n’a été prélevée à la source et ces sommes n’ont apparemment pas été déclarées en amont. D’ailleurs, Paul Sedyn nie les avoir jamais touchées. Des versements bancaires mensuels ont pourtant été effectués. Il aurait été initialement convenu que Paul Sedyn rembourse, une fois que Damien Thiéry aurait été nommé bourgmestre et que le gouvernement flamand, fautif, aurait dû rembourser rétrospectivement ses émoluments d’échevin. Ni la rétrocession, ni la nomination ne se produiront.

Dès 2014, Damien Thiéry trouva une autre solution : il engagea Paul Sedyn comme attaché parlementaire. Le député fédéral venait alors de quitter le FDF où, selon lui, il n’avait jamais pu bénéficier d’un assistant, le parti se les arrogeant tous. Mais au MR, sa nouvelle famille politique, il eut le droit d’embaucher. Paul Sedyn bossa donc pour lui d’abord à temps plein (un job à environ 41 000 euros par an), puis à mi-temps.

A Linkebeek, un échevin MR payé au noir
© DR

Ni vu ni connu

Sauf que personne, à la Chambre, n’a jamais vu Paul Sedyn, ni entendu parler de lui, y compris au sein du groupe MR. Dans le listing, la case  » collaborateurs  » à côté de son nom est vide. Normal, réplique Damien Thiéry :  » Son contrat prévoit qu’il peut travailler de chez lui, ou de la commune.  » Pour faire quoi ?  » Vous n’avez qu’à demander à Damien Thiéry « , rétorque Paul Sedyn. Avant de préciser :  » Etant architecte paysagiste, je m’occupais de dossiers relatifs à l’environnement et à l’aménagement du territoire.  » Son patron confirme qu’il faisait appel à lui pour des conseils concernant des dossiers où santé et environnement s’entrecroisent,  » comme celui du glyphosate « . Une tâche sans doute peu harassante. Sur les nombreux dossiers dans lesquels Damien Thiéry est impliqué de près ou de loin (234 documents où le député est signalé comme auteur, signataire ou rapporteur sur le site de la Chambre, avec des doublons), seuls cinq concernent l’environnement. Au sens large : proposition de résolution sur la Cop 21 à Paris, respect de la diversité dans l’Antarctique… Et une (seule) sur le glyphosate.

Damien Thiéry reconnaît surtout que Paul Sedyn le  » déchargeait  » de certaines compétences communales, sans quoi il n’aurait pu se consacrer pleinement à son poste de député fédéral. Tant pis si la Chambre paie un collaborateur pour effectuer des missions communales…  » Vous allez trop loin, s’énerve Damien Thiéry. De toute façon, je suis couvert.  » Par qui ?  » Désolé, je n’aurais pas dû dire ça. Disons que j’ai posé des questions pour savoir si ça posait souci ou pas.  » Il prétend avoir les preuves qu’il ne s’agissait pas d’un emploi fictif, mais refuse de nous les donner.  » J’arrête de répondre à vos questions « , lance-t-il avant de raccrocher. Le MR, pour sa part, n’a pas donné suite à notre demande de réaction. D’autres élus estiment qu’il n’y a pas là matière à scandale, car le métier d’attaché parlementaire est souvent dévoyé.

En juillet 2017, la saga communautaire linkebeekoise a enfin trouvé un épilogue. Valérie Geeurickx (indépendante) a été nommée bourgmestre, permettant au poste d’échevin officieux de s’officialiser. Il est revenu à Pasquale Nardone (PS), pas à Paul Sedyn, son score aux élections anticipées de 2015 étant moins bon qu’en 2012. Pourtant, le libéral a continué à être rémunéré comme attaché parlementaire jusqu’à fin janvier 2018. Sans plus aucune tâche communale à soulager. Sans doute a-t-il dédié la durée de son préavis à l’approfondissement de ses connaissances sur la COP 21 et la diversité environnementale dans l’Antarctique.

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