A Bruxelles, le vote sera électronique

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Vote papier ou vote électronique ? Cette question démocratique semble tranchée en Région bruxelloise. Révélations sur les discrets travaux en cours.

Les électeurs s’en souviennent, le bug électronique lors du triple scrutin du 25 mai 2014 a fait grand bruit. En cause : le système Jites avec carte magnétique, de la société Stésud, qui équipait 39 communes wallonnes et 17 bruxelloises. Au total, plus de 2 000 votes ont été annulés. Sans parler de la gestion de crise carnavalesque de la faille informatique et des décisions prises à la légère dans la précipitation. Tout cela a retardé la validation définitive du scrutin de plusieurs jours. Un vrai désastre démocratique… « Plus jamais ça ! », ont proclamé nos élus.

Bien que le bug ait surtout touché des communes de Bruxelles, le parlement wallon a rapidement pris les devants en votant, en juin 2015, l’abandon pur et simple du vote électronique et le retour au bon vieux vote papier avec crayon rouge. Justification de la majorité PS-CDH qui soutenait une proposition Ecolo : le risque de bug et de piratage, la difficulté du contrôle, la confiance écornée des citoyens et le coût plus élevé du scrutin électronique. Au parlement bruxellois, par contre, la même majorité n’a encore officiellement rien décidé. Un groupe de travail se réunit discrètement, depuis des mois, loin des micros et des caméras, pour débroussailler le sujet, avant qu’il ne soit discuté en commission puis en séance plénière.

Constitué de tous les partis, y compris de l’opposition (sauf Ecolo qui est résolument contre le vote électronique), ainsi que d’experts et d’observateurs actifs telle l’Association de la Ville et des communes de Bruxelles (AVCB), ce groupe de travail n’a toujours pas remis son rapport final. En interrogeant certains de ses membres, on sait cependant que la solution préconisée est de maintenir le vote électronique dans les 19 communes de la capitale. Contrairement à son parti frère, Groen y est favorable: « Nous partageons pourtant le même objectif qu’Ecolo, celui de la confiance dans les résultats du vote, sourit Bruno De Lille, chef de groupe des verts flamands. Avec les vieux ordinateurs Jites, on savait qu’un bug allait arriver. Le système doit s’améliorer à Bruxelles. Nous y travaillons. »

Traduction : lors des prochaines élections, les communes bruxelloises seront équipées d’un nouveau système informatique de vote avec ticket, à savoir une preuve papier que chaque électeur recevra pour pouvoir contrôler la réalité du choix qu’il vient de faire. Comme cela se passe déjà dans les 151 communes flamandes qui sont pourvues du matériel Smartmatic. En 2014, Saint-Gilles et Woluwe-Saint-Pierre ont également adopté et acheté le système Smartmatic. Pour que les PC et les imprimantes utilisées lors des scrutins soient « up to date », le groupe de travail du parlement bruxellois semble soutenir la formule de location ou de leasing, ce qui serait une première en Belgique. Cela éviterait aux communes de devoir stocker les machines dans leurs caves pendant des années.

Pour Ecolo, qui ferraille dur mais seul contre le vote électronique, le choix du leasing ou de la location comporte des risques. « Il est clair que, pour ne pas pratiquer des prix exorbitants, la société de leasing de ce matériel demandera de pouvoir utiliser les machines pour d’autres scrutins dans d’autres pays, considère Benoit Hellings, député fédéral Ecolo, fort concerné par la question. Cette société sera certainement Smartmatic, déjà implantée en Flandre et dans deux communes bruxelloises. Or elle est présente dans des pays qui ne sont pas des modèles de démocratie, au Kirghizistan ou en Afrique. La circulation du matériel de vote pose des problèmes de sécurité évidents. »

La position du PS et du CDH, elle, semble un peu schizophrénique. Contre, en Wallonie. Pour, à Bruxelles. « Il n’y a là rien de paradoxal, déclare néanmoins le député bruxellois socialiste Julien Uyttendaele, membre du groupe de travail sur le vote électronique. La situation institutionnelle de la capitale n’est pas la même que celle de la Région wallonne, ne fût-ce qu’en raison de la présence de deux groupes linguistiques. Si on revenait au vote papier à Bruxelles, on aurait des bulletins de plus d’un mètre carré. C’est impraticable. » Le Canada, lui, a résolu la question avec des bulletins de vote reliés en carnet dont les feuilles sont détachables… « Nous en avons parlé, assure le député, mais nous n’avons pas retenu cette option. »

Reste la question du coût. Benoit Hellings a plusieurs fois interrogé le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) sur le sujet. Résultat : le vote électronique version Smartmatic (matériel acheté) est deux fois plus cher que le vote papier, à savoir 4,4 euros par électeur, contre 2,1 euros. Dans une première étude, l’AVCB avait prétendu que la différence de coûts entre les deux votes était minime pour Bruxelles, quelques milliers d’euros seulement. Nous avons cherché à en savoir davantage.

A l’Association, Leopoldina Caccia Dominioni nous a expliqué avoir effectué un calcul un peu différent de celui du ministère de l’Intérieur, en actualisant mieux la partie des coûts supportés par les communes, à côté des coûts supportés par le fédéral. « Nous tombons sur des résultats similaires », reconnaît-elle sans vouloir nous en révéler le détail. Le Vif/L’Express s’est néanmoins procuré les chiffres de l’AVCB (datant du 26 avril dernier), selon lesquels le vote papier coûterait 1,69 euro par électeur bruxellois, tandis que le vote électronique, avec achat des équipements, reviendrait à 4,58 euros. La différence est donc, ici, plus grande encore. Toujours selon les chiffres de l’AVCB, la location, elle, coûterait 4,01 euros.

Leopoldina Caccia précise que le coût du vote papier est néanmoins compliqué à estimer et peut s’avérer plus élevé que prévu, en raison du prix de la pâte à papier, sans compter d’autres inconvénients : stockage, sécurité du transport, risques de fraude, etc. Les communes devraient acheter de nouvelles urnes et de nouveaux isoloirs adaptés au vote papier. Il peut aussi y avoir des erreurs de comptage. Quant au temps de dépouillement, il est beaucoup plus long. Sauf en cas de bug, comme en 2014…

Le coût plus élevé ne semble en tout cas pas trop émouvoir les députés acquis au vote électronique. « La démocratie a un prix, il faut pouvoir y mettre les moyens », argumente Julien Uyttendaele. « Nous réfléchissons à une formule où les 19 communes seraient traitées également en fonction de leurs moyens », affirme Bruno de Lille. Il faudra encore négocier avec le Fédéral pour voir quelle aide il accordera. En Flandre, il assure 20 % des coûts. ˜

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