© IMAGEGLOBE

60 millions de mètres cubes d’eau perdus chaque année

En Wallonie, plus de 1 litre d’eau potable sur 4 n’arrive pas au robinet. Dont coût annuel pour la collectivité : au moins 50 millions d’euros. Le Vif.be détaille un gaspillage aussi invisible que silencieux.

Les habitants de Chimay savent-ils que les jolies ruelles pavées de la vieille ville cachent un grave problème pour l’environnement et… leur pouvoir d’achat ? Ceux de Rochefort, Trois-Ponts, Clavier sont eux aussi concernés mais l’ignorent sans doute comme la plupart des Wallons. Fuites, ruptures intempestives, détériorations des joints… Chaque jour, des milliers de mètres cubes mis en distribution s’égarent avant d’arriver aux robinets des consommateurs. Des pertes sont enregistrées partout, sans distinction de mode de gestion : en régie, en société régionale ou délégué aux intercommunales – tous les producteurs-distributeurs sont des organismes entièrement publics. Le Vif/L’Express détaille ici un gaspillage aussi invisible que silencieux.

Cet état des lieux est réalisé à la lumière des rapports établis par les distributeurs membres d’Aquawal, l’union professionnelle des opérateurs publics du cycle d’eau en Wallonie, et la Région wallonne. Chimay occupe la malheureuse première place du classement. Ses canalisations égarent 7,2 litres distribués sur 10, alors que la moyenne wallonne est de 3 litres. En cause : la vétusté de son réseau, plus que centenaire, percé de trous à de nombreux endroits. Les efforts d’investissement de la régie ont été portés à 300 000 euros pour 2010-2011, sans compter les coûts liés aux remplacements de compteurs en plomb estimés à 250 000 euros.  » On aurait dû améliorer le réseau voici quarante ans déjà », plaide Bernard Jacqmin (CDH), échevin en charge de la régie des eaux. D’autres entités wallonnes connaissent un sort identique, comme Rochefort, où la moitié de l’eau produite ne parvient pas aux consommateurs.

Un rendement moyen de 30 %

Quelle est l’étendue du problème à l’échelle de la Wallonie ? Selon le dernier rapport d’Aquawal, regroupant 95 % du secteur de la production-distribution d’eau en Wallonie, plus d’1 litre sur 4 injectés dans les canalisations disparaît en cours de route. C’est-à-dire un taux de rendement moyen du réseau d’eau de 30 %, soit la différence entre les volumes d’eau mis en distribution et ceux facturés aux consommateurs. Ce qui équivaut à 60 millions de mètres cubes d’eau perdus chaque année. Une moyenne qui cache de grandes disparités.

Le gaspillage est écologique : ces dizaines de millions de mètres cubes sont prélevés dans les rivières et les nappes phréatiques pour rien. Economique, aussi : cette eau est pompée, traitée par les usines pour être rendue potable et transportée, mais elle n’arrive jamais aux robinets. Un coût direct estimé à au moins 42,5 millions d’euros chaque année, si on ne tient compte que des coûts liés à l’électricité (pour pomper l’eau), à la protection des captages et au traitement des boues, selon Aquawal. Pour certains ingénieurs, le coût se révèlerait trois plus élevé. Leur calcul est le suivant : quelle que soit la consommation, un mètre cube revient à environ 2 euros. Les réseaux perdent 60 millions de mètres cubes par an. Leur coût est ainsi évalué à plus de 120 millions d’euros. Cette dépense est supportée par la collectivité, donc tous les consommateurs wallons, via le coût vérité de la distribution (CVD, apparaissant sur leur facture d’eau).

Un minimum de perte est inévitable

Une chose est sûre, en Wallonie, première région à être alimentée en eau, plus de la moitié des canalisations ont plus de cinquante ans et pour beaucoup, on ignore leur date de pose, parfois leur emplacement précis… Au total, quelque 40 000 kilomètres de canalisations sillonnent la Wallonie.  » Changer 1 kilomètre de conduites coûte 100 000 euros, contre 1 000 euros pour la réparation d’une fuite « , précise Cédric Prevedello, conseiller scientifique chez Aquawal. La tentation du pis-aller a-t-elle joué ?

Les professionnels de la distribution relativisent cependant l’ampleur des pertes. Outre les fuites, ils listent les diverses raisons qui conduisent à une différence entre  » les volumes enregistré et non enregistré « . Il s’agit des quantités consommées sans comptage et  » gratuites  » : eau de lavage du domaine public, lutte contre les incendies, erreurs de vieux compteurs d’eau ayant tendance à sous-évaluer la consommation… Des quantités qui demeurent toutefois marginales.  » Ces fuites ne doivent pas être exagérées dans la mesure où l’eau qui s’échappe des canalisations retourne dans le sous-sol alimenter les nappes phréatiques. D’ailleurs, la Wallonie est très riche en eau, au point d’approvisionner Bruxelles et une partie de la Flandre « , répond Cédric Prevedello. Cette réponse est gênante, souligne Jean-Paul Robin, ingénieur au service technique de la Régie des eaux de Chimay. D’un point de vue économique, les chiffres ne tiennent pas compte du fait qu’une partie de ces fuites d’eau propre, potabilisée, retourne directement dans les égouts et est immédiatement retraitée dans une station d’épuration. Ce qui augmente le coût du retraitement.  » L’eau emprunte tout simplement le chemin le plus facile. Mais il est impossible de ventiler les quantités qui retournent dans les nappes et celles qui rejoignent les égouts « , précise Jean-Paul Robin.

Les ingénieurs disent qu’un minimum de perte est inévitable. Les sous-sols bougent, les consommations varient, le climat (le gel et le dégel) érode les matériaux et les joints fatiguent. Atteindre un taux zéro est impossible. Il n’empêche. Des distributeurs prouvent qu’il est possible d’agir. Les gestionnaires de l’eau devront bientôt publier des  » indicateurs de performance  » afin de mieux évaluer la qualité du service fourni et vérifier que les moyens financiers pour les travaux sont bien dépensés. Parmi ces indicateurs : le rendement du réseau et son taux de renouvellement. Le rythme actuel des travaux, dans l’objectif d’améliorer le rendement, atteint en moyenne 0,80 %, alors qu’il devrait s’élever à 1 %, voire 2 % en 2015. Ce qui aura évidemment un impact sur la facture. En 2020, le mètre cube devrait ainsi coûter de 5 à 5,5 euros, contre 4,25 euros actuellement.

Soraya Ghali

Les chiffres clés de l’eau en Wallonie

> 220 millions de mètres cubes dont 80 % prélevés dans les eaux souterraines.

> Prix moyen : 4,25 euros le mètre cube, dont 60 % pour la production-distribution et 30 % pour l’assainissement.

> La consommation a baissé de 7 % depuis 2005.

> 66 % des Wallons sont desservis par un seul opérateur, la Société wallonne de distribution des eaux (SWDE).

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire