Le 25 juillet, Olivier Chastel (MR) et Benoît Lutgen (CDH) scellent un accord leur donnant la majorité au parlement de Wallonie. D'une petite voix... © Belgaimage

2017, une année très fébrile pour le monde politique francophone

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Cette année, de la volte-face de Benoît Lutgen à l’explosion du PTB dans les sondages, le monde politique francophone a été très fébrile, conséquence des scandales en Wallonie et à Bruxelles. Un changement de majorité, des chutes, des replis, des monstres sacrés sur le départ, de nouveaux mouvements citoyens… Révolution ?

La politique francophone n’est plus un long fleuve tranquille. Les Régions wallonne et bruxelloise, longtemps chasses gardées du PS, ont vécu une année de bouleversements brutaux, marquée par les  » affaires  » et le rejet des socialistes dans l’opposition à Namur. Les sondages annoncent tous un grand chamboulement lors des prochaines élections, communales en 2018, puis législatives et régionales en 2019. C’est le reflet d’un climat de colère. Le rejet de la politique politicienne en devient la lame de fond. Les initiatives portant le label citoyen se multiplient. Et dans les états-majors de plusieurs partis francophones, la tension est à son comble.

La prise tirée, le carrousel enclenché

Raoul Hedebouw, figure d'un PTB explosant les sondages.
Raoul Hedebouw, figure d’un PTB explosant les sondages.© THIERRY ROGE/belgaimage

Le plus grand revirement de l’année témoigne de cette fébrilité. Lundi 19 juin 2017, 12 h 34. Un communiqué du CDH annonce que  » le président Benoît Lutgen fera une déclaration exceptionnelle à l’issue du bureau politique « . Le Bastognard se prépare-t-il à jeter l’éponge alors que son parti est au plus bas dans les sondages ? La réponse tombe, trois quarts d’heure plus tard :  » La cupidité de certains a dépassé tout entendement, entame Lutgen, l’air grave. S’octroyer des jetons de présence aux dépens de couvertures pour les plus démunis est choquant. Comme chaque citoyen, je suis, au plus profond de moi-même, dégoûté. Après trente ans de pouvoir ininterrompu, le PS porte une responsabilité écrasante dans l’ampleur et la répétition des scandales. La rupture est nécessaire. Elle doit être immédiate.  »

Boum ! Pour le président du parti humaniste, l’affaire du Samusocial, à Bruxelles, survenant dans la foulée du séisme Publifin en Wallonie, est l’affaire de trop. Benoît Lutgen lance un appel au MR, à Ecolo et à DéFI pour la mise en place de  » majorités positives  » en Wallonie, à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Clairement : il lâche ses alliés socialistes, sans coup de semonce. Le PS crie à la trahison et rappelle que le CDH est lui aussi impliqué dans les affaires. Mais le divorce est consommé. Exit, donc, les coalitions PS-CDH installées après les élections de mai 2014 en Wallonie et à Bruxelles où s’ajoute DéFI ? La messe n’est pas encore dite. Car le carrousel des négociations s’annonce infernal.

L’appel du CDH ne sera pas entendu à Bruxelles

Selon les points de vue, la décision de Benoît Lutgen est un geste courageux pour imposer un électrochoc en matière de gouvernance ou le summum de la politique politicienne en vue de sauver son parti, au plus mal dans les sondages. Rivaux directs sur un échiquier mouvant, Ecolo et DéFI prennent le CDH au mot. Durant la première partie de l’été, leurs chefs de file, Zakia Khattabi, Patrick Dupriez et Olivier Maingain, mènent des consultations et multiplient les propositions radicales pour modifier la culture politique, du décumul intégral à la démocratie participative. Actif en politique depuis 1983, président de parti depuis 1995, Olivier Maingain multiplie les propos tranchés.  » Cette décision du CDH porte gravement atteinte à nos institutions « , dit-il, d’autant plus sec qu’il a été surpris par cette décision, comme bon nombre d’humanistes, alors qu’il se trouvait au Canada. Maingain, en position de force, réclame à Lutgen un coup de balai. Plébiscité pour ce ton ferme par les sondés, il irrite ses pairs. Il sera pourtant entendu. Plus tard.

Urgence wallonne, asymétrie francophone

Olivier Maingain, président du DéFI.
Olivier Maingain, président du DéFI.© olivier polet/Reporters

Déçus par le manque d’ambition des autres partis, les verts refusent d’entrer dans une majorité – pour peu qu’ils en aient eu un jour l’intention… Quant à DéFI, il s’arcboute sur son alliance avec le PS et le CDH en Région bruxelloise car elle  » fonctionne bien « . Le seul changement d’envergure survient finalement en Région wallonne. Le MR, frustré de ne pas avoir retrouvé le pouvoir à Namur en 2014 en dépit de sa victoire électorale, ne tarde pas à prendre ses responsabilités. Les négociations entre le président du CDH et son homologue libéral, Olivier Chastel, aboutissent le 25 juillet. En route pour une coalition MR-CDH ne disposant que d’un siège de majorité au parlement de Wallonie. C’est peu…

Willy Borsus, ultraproche du Premier ministre Charles Michel,  » descend  » du fédéral et remplace Paul Magnette à la ministre-présidence. Objectif ? Une  » Wallonie plus forte « . Le programme du nouvel exécutif se veut radical en matière de gouvernance – sans être révolutionnaire – et, surtout, il prône la rupture sur le plan socio-économique, avec la volonté de prolonger la politique menée dans ce domaine par le gouvernement fédéral. Il y a urgence en Wallonie. Le redressement est trop lent alors qu’une échéance décisive se profile en 2024 : le début de la fin de la solidarité flamande. Assez vite, le nouveau ministre wallon de l’Economie, Pierre-Yves Jeholet (MR), remet en question le sacro-saint plan Marshall. Un virage symbolique.  » Nous serons jugés sur les résultats « , reconnaît Willy Borsus. Il reste à peine deux ans à la nouvelle majorité pour engranger…

Willy Borsus, nouveau ministre-président wallon.
Willy Borsus, nouveau ministre-président wallon.© JEAN-LUC FLEMAL/belgaimage

L’appel du CDH n’est par contre pas entendu en Région bruxelloise, où la majorité PS-CDH-DéFI reste en place. Les mandataires humanistes de la capitale n’ont pas montré le même empressement que leurs collègues wallons à changer d’attelage. Même cas de figure à la Fédération Wallonie-Bruxelles où, en dépit d’un appel du pied d’Olivier Maingain, PS et CDH poursuivent ensemble la réforme vitale de l’enseignement. Fin 2017, l’asymétrie est dès lors quasiment complète en Belgique francophone. Cette année aura donc aussi été celle où les identités régionales wallonne et bruxelloise se sont renforcées, chacune dans son coin, volontés de régionaliser des compétences à la clé. On se replie…

La vague « communiste »

Dans ce contexte agité, polarisé comme jamais entre droite et gauche et entre Bruxelles et Wallonie, les multiples sondages révèlent une volonté de changement radical au sein de l’opinion publique. Les principaux vainqueurs sont les partis d’opposition, PTB, Ecolo et DéFI, au détriment des trois formations traditionnelles. La perspective pour 2019 est un paysage politique morcelé, éclaté, pratiquement ingouvernable.

Mais la grande révélation des baromètres, c’est l’explosion du PTB. Début juillet, un sondage controversé, commandité par le MR à l’institut Dedicated Research, le place même en pole position francophone avec 24,9 % des voix ! Nationalistes flamands et libéraux francophones s’inquiètent d’un retour  » du communisme  » au sud du pays. Au sein du PTB, la question d’une éventuelle accession au pouvoir se pose. A une condition :  » Il faut des politiques qui rompent avec le néolibéralisme.  » C’est que Thierry Bodson, patron de la FGTB wallonne, a lancé un vibrant appel :  » Si les conditions sont réunies en 2019 pour une coalition entre le PS, Ecolo et le PTB, il faut saisir l’opportunité.  » Ce souhait se répand, à gauche, face à l’arrogance tranquille du MR, son  » jobs, jobs, jobs  » et ses relents sécuritaires en appui à la N-VA.

Elio Di Rupo,
Elio Di Rupo, « prêt à rempiler jusqu’à 80 ans ».© belgaimage

Cela dit, si la bande de Charles Michel se maintient dans les sondages, sans plus, le PS s’effondre en transperçant ses planchers historiques : jusqu’à 16 %. Réplique d’Elio Di Rupo, en clôture d’un congrès :  » Le PS est vivant et bien vivant, le PS est debout et bien debout.  » Le président y croit toujours et n’exclut pas de rester en politique jusqu’à 80 ans si sa santé le lui permet. Le PS clôture en novembre son  » Chantier des idées  » par un virage à gauche, en mettant notamment l’accent sur la semaine des quatre jours. Atomisé également dans les sondages, le CDH mène, lui aussi, un débat interne sur son positionnement. Dans ce contexte fébrile, de nombreuses initiatives citoyennes voient le jour – EnMarche.be, Oxygène, E-Change…

Un peu partout, les cartes sont rebattues dans la perspective du scrutin communal d’octobre 2018. D’autres sont retirées du jeu. Plusieurs monstres sacrés de la scène francophone et nationale annoncent leur retrait définitif ou prennent leurs distances : Laurette Onkelinx (PS), Joëlle Milquet (CDH), Louis Michel (MR), Isabelle Durant (Ecolo)… Le monde politique, disent-ils, est devenu trop brutal. Et la voix des citoyens, dopée par les réseaux sociaux, trop violente. Les toutes prochaines échéances électorales ne vont rien adoucir.

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