Thierry Fiorilli

2015, l’année supplice: Les Détraqueurs et la taille de notre âme

Thierry Fiorilli Journaliste

S’il y en a une dont la fin fait particulièrement plaisir, c’est 2015. Une sale année. Funeste.

Douze mois de tourments, de fureurs, d’anéantissements, de désastres. A les passer en revue, même avec le recul, la distance, la hauteur, on sent encore très distinctement l’odeur de la mort, de l’effroi et de la haine qui en suintent. On entend toujours le vacarme inouï qui s’en dégage, fouillis de gémissements, de glapissements, de rugissements, de sanglots et de ces rires démoniaques que nous réservaient, jusqu’ici, et seulement eux, les méchants des films très manichéens. Et on redéroule des images de tragédies et d’affrontements, et on voit redéfiler des visages de martyrs et de rescapés, et des scènes de chaos et de désolation, de colères et de psychoses, de miradors et de sauve-qui-peut. Et on constate que la plupart des héros d’aujourd’hui, qu’importe leur camp (puisqu’on a creusé les tranchées), sont armés jusqu’aux dents.

Une année supplice, donc. Comme un symbole de l’agonie de quelque chose, terriblement complexe à circonscrire avec précision. L’agonie d’un modèle de société ? De valeurs progressistes ? D’un système politique ? De la confiance dans la grandeur des peuples, des individus et de leurs dirigeants ? D’une ère plus favorable à l’Occident qu’au reste du monde ? D’aveuglements ? D’angélismes ? D’illusions ? En tout cas, de quelque chose qui, pour beaucoup d’entre nous, servait de repère, de boussole, de mât. D’horizon. Salvateurs. On avait bien sûr conscience que tout n’était pas qu’enchantements, dans nos parages. On savait les inégalités de plus en plus béantes, l’exaspération hissée comme emblème de l’audace, l’exacerbation toujours plus flagrante, toujours plus bruyante, toujours plus répandue, et l’action politique toujours plus limitée, ou décalée, ou dépassée. Ou ravalée au rang de la simple réaction à des événements surgis de façon plus ou moins imprévue. Tout le monde savait tout ça. Mais personne n’imaginait que l’Europe, que nos pays, que ces terres considérées comme encore et toujours de Cocagne par ceux qui n’y avaient pas jeté l’ancre seraient brutalement transformées en un tel théâtre de déshumanité.

Par quelque bout qu’on l’aborde, 2015 s’érige donc comme l’une des années les plus hideuses et destructrices, à l’échelle planétaire, depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est en ce sens qu’elle est historique. Qu’elle restera comme celle d’un basculement dans une ère venimeuse et vénéneuse. On la dessinerait, on lui donnerait les traits d’un Détraqueur, cette créature de l’odyssée Harry Potter, au souffle glacial et aux relents putrides, qui évolue toujours en meute et se nourrit de la joie humaine, qui l’aspire du corps, comme elle avale les âmes, ne laissant que désespoir et tristesse irréversibles dans son sillage. Si les décennies précédentes clamaient, émerveillées, que le monde est un village, 2015 a proclamé, martial, qu’il est désormais, ou à nouveau, un grillage. Parce que, jusque dans nos lieux de vie quotidienne ou de villégiature, s’est imposé le constat, lugubrement implacable, qu’il fallait réapprendre à vivre avec le risque.

Reste qu’entre ses pages si sombres, comme le prouve l’abécédaire que les rédactions du Vif/L’Express, du Vif Weekend et de Focus Vif ont réalisé ensemble, l’année a glissé des bonheurs, des lueurs, des splendeurs. Des moments, des gestes, des oeuvres, des convictions, des femmes et des hommes salutaires. Providentiels même. Parce qu’ils démontrent que toutes les âmes ne se déclinent pas désormais en taille XXS.

De quoi se convaincre que les Détraqueurs finiront par s’étouffer et perdre la partie. Souhaitons-nous que ce soit dès 2016.

Le Vif/L’Express ne paraîtra pas le 1er janvier 2016 mais vous retrouverez votre newsmagazine avec les suppléments Le Vif Weekend et Focus Vif dès le 8 janvier.

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