Les funérailles de Loubna Benaïssa font bouger les lignes. © ÉRIC HERCHAFT/REPORTERS

19 décembre 1994 : la directive européenne que la Belgique n’aimait pas

Après plusieurs années de rejets et de discussions, la directive européenne fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour un ressortissant de chaque état membre est adoptée. Seulement, chez nous, un double problème se pose…

Directive 94/80/CE. Derrière l’aridité du langage administratif, une petite révolution vient de se jouer. Siégeant à Bruxelles, le Conseil européen a adopté une directive fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. Dorénavant, dans chaque Etat de l’Union européenne, les ressortissants d’un pays membre pourront se présenter et voter aux élections locales. Maintenant, c’est aux Etats membres de jouer : ils disposent d’une grosse année pour conformer leur législation aux exigences du nouveau prescrit.

En réalité, l’idée d’élargir le scrutin municipal aux citoyens européens n’est pas neuve. Dès le sommet de Paris de 1974, elle est avancée. Tout en étant rejetée. Il faut dire qu’elle se heurte autant à des incertitudes juridiques qu’à la résistance de certains gouvernements. En juin 1988, une directive est sur le point de consacrer la nouveauté. Mais à nouveau, elle n’est pas retenue. Il faut attendre Maastricht pour assister à une évolution. En 1992, les douze Etats membres concluent un Traité sur l’Union européenne. Celui-ci a notamment pour objectif de renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants des Etats membres. Surtout, il instaure une citoyenneté de l’Union. Moralement et juridiquement, les temps sont mûrs : en décembre 1994, la directive tant attendue est adoptée.

Mais un problème se pose en Belgique. Un double problème, en fait. Le premier est juridique. La Constitution ne reconnaît de droits politiques qu’aux seuls Belges. Une révision constitutionnelle, processus long et incertain, est donc obligatoire. Deuxième problème : le monde politique est profondément divisé. Certains, particulièrement dans le camp écologiste, aimeraient aller plus loin que la directive, par exemple en offrant automatiquement la nationalité belge après cinq années de résidence. D’autres souhaitent se contenter du prescrit européen. Enfin, il y a ceux qui s’y opposent. C’est le cas du sénateur CVP Herman Suykerbuyk, qui prend notamment l’exemple des Néerlandais habitant en Belgique mais travaillant aux Pays-Bas et ne payant pas de taxes communales.

En mars 1997, les funérailles de Loubna Benaïssa, victime du pédophile Patrick Derochette, font bouger les lignes. L’idée qu’il puisse y avoir deux types d’étrangers – les citoyens de l’UE et les autres – perd du terrain. En même temps, certains politiques proclament leur souci de ne pas légiférer sous le coup de l’émotion. Entre partis – mais aussi à l’intérieur des partis – les divisions demeurent nombreuses. Et la paralysie guette. En juillet 1998, la Belgique est condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour n’avoir toujours pas adapté sa législation.

Ce n’est qu’en 1999 que la directive 94/80/CE est pleinement transposée dans le droit belge. A partir de 2000, les citoyens de l’UE pourront élire et se faire élire aux communales. Quant aux autres étrangers, ils pourront voter… mais pas se présenter… et uniquement à partir de 2004. Un véritable compromis à la belge.

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