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14-18 : le combat wallon, l’oublié du centenaire

Le Vif

Les francophones se dévoueront pour honorer, en 2014-2018, la « poor little Belgium » longtemps négligée par l’Etat fédéral. « Ils se trompent de cible et de siècle. Ils en oublient la Wallonie », regrette l’historien Philippe Destatte.

Par Pierre Havaux

N’en déplaise à ses historiens, la Flandre politique met le cap sur 14-18 en laissant la Belgique à quai. C’est de bonne guerre. Et c’est un historien wallon qui le dit. Philippe Destatte ne s’en offusque pas. « Que la Flandre joue cavalier seul ne me pose pas de problème. L’autonomie culturelle est reconnue aux Communautés. » C’est une autre absence, dans le camp francophone, qui chagrine et irrite le directeur général de l’Institut Jules Destrée. « Ce que l’on reproche en fait aux autorités flamandes, c’est de faire comme si la Belgique n’existait pas. Mais la Wallonie, en tant qu’enjeu, n’est pas présente non plus dans les commémorations du centenaire de 14-18. Sauf pour rappeler les montants considérables qui vont être engagés par son gouvernement pour ces commémorations. »
Le nerf de la guerre, côté francophone, sera de fait massivement fourni par la Wallonie : 33,4 millions euros sur les 37,6 millions que la Fédération Wallonie-Bruxelles prévoit d’injecter en quatre ans de centenaire. Et pas de retour historique sur cet investissement wallon ? Pavé dans la mare francophone.
Plus lents à la détente que les Flamands, les francophones veulent perpétuer le souvenir d’une Belgique intégralement envahie. Pas question de faire l’impasse sur l’élan patriotique, la solidarité nationale, la résistance héroïque, l’attachement à l’indépendance du pays. Vaste programme. Il laisse peu de place à une touche wallonne. C’est ce qu’ont recommandé les historiens francophones. Du coup, l’Institut Jules Destrée, pilier de la recherche historique sur la Wallonie, n’a pas été invité aux cogitations. Son directeur de recherche, Paul Delforge, y avait pourtant sa place. En 2008, l’historien liégeois a consacré 500 pages à La Wallonie et la Première Guerre mondiale, couronnées par le prix Halkin-Williot de la critique historique, et le prix Jean Stengers de l’Académie royale de Belgique.
Paul Delforge l’a mis en lumière : la Grande Guerre n’a pas été qu’une parenthèse dans le combat wallon. Il y a bien eu une activité politique clandestine menée par des « séparatistes » wallons, des projets fédéralistes wallons. Il y a même eu, insoupçonnée pendant nonante ans, une Wallonenpolitik lancée par l’occupant allemand. Elle n’a pas laissé indifférent une poignée d’ « activistes » wallons.
Seulement voilà. « Commémorer l’action du Mouvement wallon n’a rien de très sexy », admet Paul Delforge. La Fédération Wallonie-Bruxelles préfère s’accrocher aux fondamentaux de l’histoire de Belgique. Non sans arrière-pensée politique, pointe Philippe Destatte : « L’objectif des institutions  »francophones » est de porter bien haut le drapeau tricolore du patriotisme national belge, tandis que les Flamands joueront, eux, leur propre carte nationale. »
Axel Tixhon, historien à l’Université de Namur, assume le cap qu’il a contribué à fixer. « L’histoire wallonne de la Première Guerre se confond avec celle de la Belgique. A partir du moment où le pouvoir fédéral ne jouait pas son rôle dans l’approche du centenaire, il fallait bien que les entités fédérées prennent le relais. Ce que la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé de faire, à l’inverse de la Flandre. »

Le dossier « L’Histoire manipulée » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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