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La Tesla grand public à 35.000 dollars se fait attendre

Tesla a rêvé de révolutionner l’automobile, en commençant par des modèles électriques chers, avant de viser le grand public. En reportant la sortie de la Model 3 à 35.000 dollars, la marque s’oriente plutôt vers une place de constructeur premium. Des voitures rapides et coûteuses.

Elle était attendue. La Tesla Model 3 à 35.000 dollars, annoncée en 2016, devait pousser la marque vers le marché grand public. Préparer le terrain à des voitures électriques moins chères, autour de 20.000 euros, par exemple, là où se situe l’automobile de monsieur et madame Tout-le-monde. Et pourquoi pas, menacer Volkswagen, Renault-Nissan, Toyota, General Motors, les grands généralistes dont les ventes se mesurent en millions de véhicules.

D’un tweet, le CEO de Tesla, Elon Musk, a compromis cette perspective. Il a repoussé la sortie de son modèle à 35.000 dollars à l’an prochain car sinon, comme il l’a encore écrit, Tesla allait carrément  » perdre de l’argent et mourir  » (  » lose money & die « ).

Plus cher, c’est mieux

Un aveu troublant. La Model 3, qui devait populariser la marque, n’est donc plus produite que dans ses versions les plus chères, à 50.000 dollars et au-dessus. Il faudra au moins attendre 2019 pour voir le modèle à son prix d’appel mis en production… s’il voit jamais le jour. Car la tendance va dans le sens contraire : Tesla a annoncé une version plus chère, à quatre roues motrices, de la Model 3, disponible à partir de 78.000 dollars.

 » Cela remet en cause une hypothèse tenue par certains investisseurs : celle qu’un acteur émergent dans l’automobile électrique pouvait dominer ce nouveau marché « , avance Philippe Houchois, de Jefferies International, analyste spécialisé dans le secteur automobile.

A son annonce, le prix d’entrée de la Model 3 à 35.000 dollars était un élément déterminant pour Tesla. En fait, le tarif payé devait être plus bas encore aux Etats-Unis, où l’Etat accorde un crédit d’impôt de 7.500 dollars aux acheteurs de véhicules électriques, ce qui aurait ramené la facture nette à 27.500 dollars, soit 23.500 euros. Or, cet avantage est limité en volume : les Etats-Unis accordent cet incitant pour les 200.000 premiers véhicules électriques vendus et ensuite, c’est fini. Tesla devrait atteindre ce plafond dans les mois à venir, peut-être durant l’été.

Volkswagen mieux armé

Comme Elon Musk donne la priorité à la production de Model 3 bien équipées, d’un coût moyen de plus de 50.000 dollars, et qu’il a reporté la sortie des modèles à 35.000 dollars jusqu’à l’an prochain, il est probable que la super affaire échappe aux candidats du prix d’entrée. Pour être réservée aux acheteurs qui paient davantage. Au total, l’entreprise a encaissé 500.000 réservations (1.000 dollars l’unité) pour la Model 3. Elle pourrait en perdre une partie, certains qui visaient le modèle à 35.000 dollars s’impatientant. Mais elle a lancé un modèle premium, un roadster, et prépare l’annonce d’un petit SUV, le Model Y.

 » Cela recadre Tesla dans une perspective de croissance moindre, mais en marque premium, analyse Philippe Houchois. Le premier véhicule électrique de masse sera sans doute plutôt une Volkswagen, l’I.D. Personne ne met autant de moyens que VW pour arriver à cet objectif.  » Ce sera un véhicule électrique au format d’une Golf, un modèle compact. Volkswagen a annoncé un objectif de vente d’un million de voitures électriques en 2025.

Valorisation exagérée ?

Ce réajustement devrait déplaire à certains candidats acheteurs. Et aussi aux actionnaires.  » Le problème est que les investisseurs ont donné à Tesla une valorisation boursière d’environ 50 milliards de dollars dans l’idée que cette société bouleverserait le monde global de l’automobile et ne s’en tiendrait pas à une niche de voitures électriques haut de gamme « , écrivait Charley Grant, un chroniqueur boursier du Wall Street Journal. Il estime que Tesla ne vaut pas ces 50 milliards de dollars, montant supérieur à la valorisation boursière de Ford qui avoisine les 45 milliards de dollars.

Même s’il a reculé ces derniers mois, le cours du titre Tesla reste encore bien situé, à 288 dollars (à l’ouverture le 31 mai 2018). Ce qui situe la valorisation boursière un peu au-dessus des 48 milliards de dollars. Le titre a grimpé l’an passé jusqu’à 389 dollars l’an passé.

La Tesla grand public à 35.000 dollars se fait attendre

Priorité au cash

Tesla est quelque peu contrainte de ne pas sortir du créneau premium, à cause de ses finances tendues. Avec plus de 10 milliards de dollars de dettes au premier trimestre, l’entreprise continue à afficher des pertes, au premier trimestre 2018, de plus de 700 millions de dollars, le double de celles du premier trimestre 2017. Avec un cash-flow négatif libre d’un milliard de dollars… Arriver à la cadence de 5.000 Model 3 par semaine d’ici la fin juin prochain, avec six mois de retard, est primordial, car plus il y aura de véhicules livrés, plus l’argent rentrera. En suivant ce scénario, Elon Musk promet un cash-flow positif d’ici la fin 2018. Et même des trimestres bénéficiaires (Q3 et Q4).

Ces promesses sont regardées avec suspicion par la communauté financière car l’homme d’affaires a l’habitude de promettre beaucoup et de remettre au lendemain ce qu’il a annoncé. Aussi, la question du cash devient délicate. A la fin du premier trimestre 2018, Tesla disposait de 2,7 milliards de dollars de liquidités disponibles, ce qui est à la fois beaucoup et peu pour une société qui grille des liquidités à grande vitesse.  » Un cash- flow positif au deuxième semestre est indispensable pour ne pas être contraint à lever des fonds pour écarter [la nécessité d’] une augmentation de capital en 2018 « , écrivent Kevin Tynan et Kieran Ryan, analystes de Bloomberg dans une note sur Tesla.  » C’est possible « , estime Philippe Houchois, de Jefferies.

Les constructeurs allemands ne pavoisent pas pour autant. Plusieurs d’entre eux ont acquis des Model 3 pour les démonter et les analyser. Un des ingénieurs ayant participé à ces opérations de  » reverse engineering  » s’est confié au magazine économique WirtschaftsWoche :  » Si Tesla peut, comme il l’espère, produire environ 10.000 automobiles par semaine, la Model 3 devrait contribuer de manière massive à leur marge ( bottom line) « .

La concurrence arrive cet été

Cette priorité au cash implique de viser aujourd’hui une clientèle prête à payer le prix fort, à développer le créneau premium dans lequel Tesla s’est fait connaître. La marque avait en effet profité du vide laissé par les marques premium traditionnelles dans la motorisation électrique.

Mais il y a un risque : la concurrence. Alors qu’elle était auparavant inexistante, des offres compétitives vont arriver à partir de cet été. Avec le SUV Jaguar i-pace, et plus tard cette année, l’Audi e-tron quattro, assemblée à Forest. En attendant BMW, Mercedes et d’autres… Les informations publiées annoncent des puissances assez conséquentes, avec des batteries de 90 kWh et des tarifs très concurrentiels ( lire l’encadré « Jaguar et Audi arrivent » plus bas).

 » Etre confronté à la concurrence de Jaguar, BMW ou Mercedes n’est pas forcément mauvais pour Tesla, continue Philippe Houchois. La marque est très attractive.  » D’un côté, l’arrivée des grandes marques allemandes est rassurante pour les clients. Elle valide, pour les plus réticents, le principe de la voiture électrique. D’un autre, Tesla est plus sécurisante car elle dispose d’un réseau de chargeurs rapides (400 stations en Europe) alors que les constructeurs traditionnels ont longtemps refusé d’entrer dans ce marché. Ils y viennent contraints et forcés, en créant le réseau européen Ionity (lire l’encadré  » Des stations de recharge stratégiques « ). Le réseau de superchargeurs déjà installé de Tesla est donc un sérieux argument de vente.

Enfin, le marché premium est peut-être plus sûr. Tesla n’a pas de soucis pour trouver des clients pour des automobiles à 50.000 ou 100.000 euros. Son problème, c’est plutôt de les produire.  » Si on réfléchit bien, actuellement, il n’y a pas de demande pour un marché de masse ; les consommateurs ne se ruent pas « , ajoute Philippe Houchois.

Jaguar et Audi arrivent

Le SUV I-Pace de Jaguar, le premier concurrent sérieux de Tesla.
Le SUV I-Pace de Jaguar, le premier concurrent sérieux de Tesla.© PG

Jaguar. Dès juillet, Jaguar va commercialiser son SUV I-Pace en Belgique, à partir de 78.990 euros. Un peu plus grand et avec des arguments de performance (0-100 km/h en 4,8 secondes), c’est le premier concurrent sérieux pour Tesla et sa Model X (103.630 euros).

Audi. Le modèle SUV e-tron quattro, assemblé à Bruxelles, sera mis en vente à la fin de cette année. Le tarif devrait démarrer à 80.000 euros et Audi promet du muscle (motorisation de 500 cv). Audi a adopté le même principe de la réservation que Tesla pour attirer des clients. Moyennant un paiement de 2.000 euros, remboursable. Un autre modèle, coupé SUV, sortira l’an prochain, l’e-tron sportback.

Porsche. La marque sportive du groupe VW va s’attaquer frontalement au modèle très performant de Tesla, la Model S 100D (110.130 euros), avec sa Mission E, présentée sous la forme de concept car. Avec un chargement ultra-rapide à 800 volts, qui permet de gagner près de 100 km d’autonomie en quatre minutes. Disponible l’an prochain.

Volvo. L’an prochain, Volvo sortira un modèle électrique sur la plateforme CMA (celle de la XC40), dont la forme n’est pas encore connue. Les premiers modèles seront assemblés en Chine.

Mercedes. Un SUV totalement électrique, sous la marque EQC, mis en production à partir de 2019, avec une autonomie de l’ordre de 500 km.

BMW. Le constructeur bavarois promet un SUV X3 électrique pour 2020 (iX3), et un modèle i4, dont la forme n’est pas totalement définie (probablement un crossover), pour 2021.

Des stations de recharge stratégiques

Ionity
Ionity© PG

Les constructeurs automobiles européens ont fini par accepter d’investir dans des bornes de recharge en créant le réseau européen Ionity. En avril, le premier système de recharge a été installé à Brohltal-Ost, sur l’A61, en Rhénanie Palatinat, entre Cologne et Stuttgart. Un autre vient de s’ouvrir en Suisse, près de Lucerne.

Ionity a été fondée l’an passé par BMW Group, Daimler AG, Ford Motor Company et Volkswagen Group, avec Audi et

Tesla
Tesla© PG

Porsche. Son objectif est de construire un réseau de 400 bornes rapides dans 24 pays européens d’ici 2020. Ionity court derrière Tesla qui possède déjà un réseau de 400 stations de recharge rapide en Europe. Longtemps, les constructeurs ont refusé d’investir dans ces stations, estimant que c’était la tâche de partenaires. Tesla a prouvé que disposer d’un réseau de recharge propre était un argument commercial efficace pour vendre des véhicules électriques. La difficulté à trouver des stations de recharge, aux performances très variables, est un obstacle pour les clients.

Le réseau des superchargeurs Tesla propose une puissance de 120 kW qui permet de remplir les batteries à 50 % en 20 minutes (Tesla 85), ce qui représente près de 200 km. Il n’est accessible qu’aux Tesla. Ionity vise une performance plus élevée, jusqu’à 350 kW, pour recharger rapidement (400 km en 15 minutes) des véhicules qui font étape sur un long parcours.

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