Au Salon de l'automobile de Tokyo, Toyota a présenté sa FCV Plus : une voiture qui ne ressemble à rien de connu mais qui apporte, pourtant, de véritables solutions d'avenir. © DR

La machine qui a changé le monde

Le Vif

« On y arrive », annonce Joost Kaesemans, directeur de la communication de Febiac, en parlant du moment où nous nous rendrons tous au travail à bord d’une voiture autonome et verte. Mais la route est encore longue. Aujourd’hui, en Belgique, à peine une nouvelle voiture sur quatre cents est électrique. Et nous sommes loin d’être prêts à confier le volant à notre voiture ultra connectée.

La chaise de bureau de Joost Kaesemans a la forme d’un baquet de voiture de sport. Cela en dit long sur l’homme et sa passion des voitures. Pour Joost Kaesemans, être le porte-parole des secteurs de l’automobile est bien plus qu’un simple job. Surtout en cette période de mutation passionnante pour les quatre roues. Il décrypte trois tendances.

Joost Kaesemans : « La voiture a été surnommée « The machine that changed the world » et c’est exact. Nous vivons différemment grâce à la mobilité que nous procure la voiture. Mais si le monde change, notre mobilité change également. Première tendance : 2012 a été la première année dans l’histoire de l’humanité qui a vu plus de personnes habiter en ville qu’en banlieue. D’ici à 2050, 70 % de la population mondiale habiteront dans des mégalopoles, ce qui aura des conséquences sur notre mobilité et sur le monde automobile. Avoir chacun sa voiture parquée dans l’allée est impensable. Il n’y aura tout simplement pas la place. Aujourd’hui, dans les villes, les automobilistes sont déjà repoussés vers l’extérieur. Le nombre de places de stationnement diminue, des projets de partage de vélos voient le jour, on investit dans les transports publics. Ce sont les évolutions auxquelles nous assistons déjà aujourd’hui. »

« Deuxième tendance : l’évolution technologique. Les progrès technologiques ouvrent tout un pan de possibilités sur le plan de la propulsion et de la manière de diriger un véhicule. Et modifient de ce fait les perspectives d’avenir des voitures. On voit déjà aujourd’hui d’étranges voitures circuler en ville, telle la Renault Twizy, qui n’ont plus rien à voir avec les modèles auxquels nous sommes habitués. Si, à l’avenir, nous avons des voitures autonomes, non polluantes et sûres, pourquoi aurions-nous encore besoin d’un capot d’un mètre et demi plein de zones déformables et d’airbags ? »

« Troisième tendance : aujourd’hui, on compte un petit milliard de voitures en circulation dans le monde. Mais, dans les anciens pays en voie de développement, 850 millions d’habitants viennent de sortir de la pauvreté et aspirent à acquérir, après le smartphone et le téléviseur, une voiture. Quel en sera l’impact sur la demande énergétique ? Et la demande en matières premières ? Comment y répondre ? Voilà le défi de demain. »

Comment toutes ces voitures seront-elles propulsées ? Par électricité ? Gaz naturel ? Hydrogène ? Quelle est la meilleure alternative ?

« Un mix. Aujourd’hui, lorsque vous entrez chez un concessionnaire pour acheter une nouvelle voiture, le vendeur vous demande : essence ou diesel ? Si vous optez pour le diesel, il répond que c’est un bon choix parce que le diesel est moins cher à la pompe et que votre voiture aura une belle valeur résiduelle. Le vendeur devrait vous poser les questions suivantes : « Qui êtes-vous ? Que faites-vous avec votre véhicule ? Qu’en attendez-vous ? Avez-vous des panneaux solaires ? Envisagez-vous d’installer une Tesla Wallbox ? Quelles distances parcourez-vous ? Partez-vous en vacances en voiture ? » Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra vous guider vers la bonne voiture, avec plusieurs possibilités. »

Mais ce futur semble encore loin. Aujourd’hui, à peine 0,24 % des nouvelles voitures roulent à l’électricité, 1,56 % sont hybrides. Le gaz naturel et l’hydrogène sont quasi inexistants.

« Le choix n’est pas encore pour tout de suite, c’est vrai. Jusqu’à présent, les marques automobiles qui se sont lancées dans l’électrique n’en ont pas encore retiré les fruits. À l’exception de Tesla. Renault a investi quatre milliards d’euros dans une gamme électrique mais n’en a vendu qu’une poignée. D’autres marques ont également énormément investi. Sans beaucoup de succès chez nous. Pourtant, en Norvège, 13 % des conducteurs roulent à l’électricité. Comment ont-ils fait ? Les autorités norvégiennes ont pris toute une série de mesures pour inciter les automobilistes à rouler « propre » : les voitures électriques peuvent emprunter les couloirs de bus ; à l’achat d’une voiture électrique, le conducteur reçoit un abonnement gratuit pour les bacs (ferry-boats) et transports publics, et une borne de recharge dans son quartier. Si notre gouvernement adoptait la même ligne de conduite, bien plus de conducteurs opteraient pour un carburant alternatif. Chez nous, néanmoins, les autorités travaillent à un clean vehicle plan, prévoyant des mesures incitatives pour l’achat de véhicules propres et une offre plus large de bornes de recharge et de stations-service CNG (gaz naturel pour véhicules). Nous évoluons peu à peu vers un éventail de possibilités. D’après les prévisions, d’ici à 2020, entre 7,5 et 10 % des voitures seront « eco-friendly ». Et 2020, c’est déjà demain ! »

N’est-ce pas simplement trop tôt pour percer ? Une voiture électrique coûte encore très cher et n’offre pas encore suffisamment d’autonomie.

« Une voiture électrique a besoin de 800 kilos de batterie pour parcourir, sans recharge, le même nombre de kilomètres que la même voiture dotée d’un moteur essence et d’un réservoir de soixante litres. Le diesel et l’essence sont des sources d’énergie légères et compactes, qui fournissent simplement plus d’énergie. La technologie des batteries n’en est pas encore là. Il y a quelques années, IBM a lancé le programme « Battery 500″. L’objectif était de développer une batterie avec laquelle on puisse rouler 500 miles sans recharge. Cette batterie était prévue initialement pour 2012, puis reportée en 2015 et 2018, et aujourd’hui on n’en entend plus beaucoup parler. Donc, je le répète, ce n’est pas encore pour tout de suite. »

Google expérimente la technologie des voitures autonomes. Quand allons-nous pouvoir lever le pied et lâcher le volant ?

« Le problème, ce n’est pas la technologie. Celle-ci existe déjà. Saviez-vous que certaines voitures dotées d’une boîte de vitesses automatique ne tiennent pas seulement compte de votre vitesse pour changer de rapport ? Via le GPS, la voiture sait si vous approchez d’un virage ou d’une côte. Sans que vous ne le perceviez, la voiture s’adapte. Elle prend donc déjà des décisions à votre place. Au dernier Salon de l’automobile de Francfort, Bosch a introduit un système d’aide au stationnement innovant. Pratique surtout pour les personnes qui habitent en appartement et qui, dans le garage, doivent diriger leur voiture entre des piliers de béton. Vous montez en voiture, vous poussez sur le bouton « enregistrer » et vous effectuez les manoeuvres qu’il faut jusqu’à votre place de parking. Une seule fois. Le lendemain, il vous suffit de sortir de votre voiture avant l’entrée dans le garage. La voiture va se garer toute seule à votre place habituelle. Un autre exemple ? La voiture avec laquelle j’ai roulé la semaine dernière détecte si une place de parking est suffisamment grande pour s’y garer. Une simple pression sur le bouton et la voiture s’y gare toute seule. Dans de nombreuses usines, des véhicules autonomes se déplacent déjà depuis des années au milieu des travailleurs. Sans accidents. »

Pourquoi ne fait-on pas un pas de plus vers la voiture autonome ?

« Parce que personne ne veut être responsable. Qui est responsable si cela tourne mal ? Le conducteur ? La marque automobile ? Le gestionnaire de la voirie ? Le fournisseur de services de télécommunications ? Supposez que vous rouliez sur autoroute à 120 km/h, lorsque soudain le signal GPS se déplace vers la contre-allée qui longe l’autoroute. Votre voiture autonome freine automatiquement pour revenir aux 30 km/h autorisés sur ce type de route. Les conséquences sont dramatiques. Ou que se passera-t-il si une balle roule sur la rue et qu’un enfant surgit en courant derrière elle ? La voiture va-t-elle faire un écart vers la voiture arrivant en sens inverse ou non ? Des décisions extrêmement délicates. »

« C’est la raison pour laquelle on va d’abord voir arriver des systèmes venant en aide au conducteur dans le trafic, sans prendre de décisions à sa place. La voiture roulera de manière autonome uniquement lorsque le conducteur l’aura décidé. Sur autoroute, par exemple, là où aucun enfant ne court après une balle. »

Sommes-nous prêts, mentalement, pour la voiture autonome ?

« Autour de moi, j’entends des gens dire : je préfère conduire moi-même. Moi aussi. J’aime tenir le volant entre mes mains et entendre le moteur chanter. Mais, au retour de vacances en France, lorsque, fatigué, je reprends l’autoroute pour rentrer chez moi, je me laisserais volontiers conduire par la voiture. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas à tout moment le droit de décision que vous perdez pour autant la liberté de la mobilité. Cette idée doit encore faire son chemin. »

Notre réseau routier est-il prêt pour cela ?

« Pas du tout. Les exigences sont beaucoup, beaucoup plus élevées que celles auxquelles le réseau doit se plier aujourd’hui. Une voiture avec détection des bandes de circulation exige un très bon marquage des routes. Une voiture autonome qui reconnaît les panneaux de limitation de vitesse exige que tous les panneaux se trouvent à la bonne place. Il y a encore du pain sur la planche. Aux Pays-Bas, plusieurs centaines d’ingénieurs sont chaque jour sur les routes pour évaluer la situation. Les feux de signalisation sont-ils encore bien réglés ? En faveur d’une plus grande fluidité de la circulation ? Le trafic est un organisme vivant. En Flandre, il y a aussi des contrôleurs. Deux, si je ne me trompe pas, et ils ne mettent presque jamais le pied dehors. »

Dès 2018, tout nouveau véhicule doit être équipé d’un système eCall, qui prévient automatiquement les services de secours lorsqu’un véhicule est impliqué dans un accident. Le futur ne semble plus si loin.

« C’est exact. Ce système eCall obligatoire signifie aussi que tout nouveau véhicule sera équipé d’un système de communication et d’une carte SIM. Ce qui ouvre la porte à un nombre quasi infini de possibilités. Réserver votre place de stationnement à la gare, ou commander déjà votre billet de train électronique ? Pas de problème. Ou supposez que vous rouliez à 70 km/h sur la chaussée, votre voiture pourrait vous suggérer de redescendre à 60 km/h de manière à passer au vert lors du prochain croisement. Autant de nouvelles possibilités qui se développent petit à petit. »

Regardons encore un peu plus en avant. Dans trente ou quarante ans, nous roulerons tous avec une voiture verte, autonome. Avec quelles incidences sur nos routes ?

« Aujourd’hui, le centre de nos grandes villes est généralement en zone trente, mais personne n’en tient compte. Je crois qu’il est possible qu’à l’avenir, nous ne soyons autorisés à nous déplacer en centre-ville que si nous lâchons les mains du volant. Vous voulez vous rendre à Bruxelles ou à Gand ? Vous êtes alors conduit à votre destination finale en suivant l’itinéraire décidé par la ville et à la vitesse qu’elle souhaite. Automatiquement et en toute sécurité. Avec des répercussions auxquelles nous ne pensons peut-être pas encore. Tous les samedis matin, je conduis mon fils en voiture jusqu’à l’académie. Mais, à l’avenir, il pourra peut-être prendre lui-même la voiture ? La voiture roule quand même toute seule. Doit-il vraiment attendre d’avoir 18 ans ? Nous gagnons ainsi en mobilité mais nous créons aussi plus de demandes. »

Notre pays compte aujourd’hui 5,6 millions de voitures personnelles. Quand nos routes seront-elles saturées ?

« D’après une étude menée aux Etats-Unis, le maximum serait atteint avec 6,8 véhicules pour 10 habitants. Nous n’en sommes pas encore là mais nous approchons des 5 véhicules pour 10 habitants. Une meilleure intermodalité, plus aisée, devrait nous permettre de ne pas atteindre cette limite. »

Le partage de voitures peut-il y contribuer ?

« Aujourd’hui, les systèmes d’autopartage tels que Cambio ont du potentiel. Mais il faut savoir que 75 % des voitures Cambio sont utilisées pour des déplacements qui, autrement, auraient été effectués, non pas en voiture, mais en vélo, à pied ou en transports en commun. Une grande partie des utilisateurs ne sont pas des automobilistes qui ont renoncé à leur propre véhicule, mais des entreprises qui le proposent comme un service supplémentaire. Ou des chauffeurs qui n’avaient pas de voitures auparavant. Aujourd’hui, Cambio effectue quelques centaines de déplacements par jour à Bruxelles, sur un total de 3,5 millions de déplacements en voiture. C’est donc très peu. Mais, à l’avenir, le partage de voitures offre de belles perspectives. Supposez que vous puissiez réserver une voiture à un endroit donné et un moment bien précis, et que cette voiture se déplace toute seule vers cet endroit. Et que vous puissiez, après usage, laisser la voiture où vous le souhaitez car elle rejoindra toute seule une borne de recharge ou le prochain client. Facile, n’est-ce pas ? C’est l’avenir. »

PAR BART CLAES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire