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Comment la voiture autonome révolutionnera notre société

Jelle Dehaen
Jelle Dehaen Journaliste Knack, historien et philosophe

Pourquoi encore construire de nouvelles routes? Dans dix ou vingt ans, la voiture autonome fera partie du paysage, et le réseau de routes existantes pourra encaisser jusqu’à quatre fois plus de voitures. Mais que signifie la révolution de la voiture autonome pour les gens qui travaillent comme chauffeur de camion ou de bus ?

La voiture autonome bouleversera notre société. Et cela n’a rien d’une utopie, car l’année dernière, un homme aveugle a roulé un quart d’heure sur les routes texanes sans accompagnateur (sur un parcours balisé d’avance). Les voitures autonomes qui disposent d’un chauffeur capable d’intervenir si quelque chose risque de mal tourner ont des millions de kilomètres au compteur. Et bientôt, le consommateur pourra en acheter une : il y a déjà trois ans que BMW et Audi veulent mettre une voiture autonome sur le marché. Elon Musk, le CEO de Tesla, prétend que son entreprise aura terminé la voiture autonome en 2018, même s’il est possible qu’il faille encore attendre trois ans avant que tous les problèmes juridiques soient résolus.

Pour l’instant, il s’agit de voitures autonomes de niveau quatre: celles-ci ont toujours besoin d’un conducteur, même si celui-ci ne doit rien faire. Sur la route, vous pouvez faire une sieste, regarder un film ou jouer avec les enfants. La prochaine étape, c’est une voiture autonome de niveau cinq où il ne faudra même plus de conducteur : arrivée au boulot, votre voiture pourra chercher une place toute seule, retirer vos courses ou conduire votre mère âgée chez le médecin.

Révolution totale

Randall O’Toole est un économiste spécialisé en mobilité du think tank libertarien Cato Institute. Il prédit une révolution. « Peu de gens comprennent l’ampleur de l’impact de la voiture autonome », déclare O’Toole. « Il y a cent ans, Henry Ford s’est mis à produire des voitures à la chaîne. Avant cela, 2% des Américains avaient une voiture, quinze ans plus tard, c’était plus de la moitié. Ford a transformé le monde. Les transformations entraînées par la voiture autonome seront au moins aussi drastiques, même s’il est difficile d’estimer ce qu’il se passera exactement. Avant Ford, personne ne pouvait s’imaginer qu’il y aurait de grandes banlieues ou des centres de shopping situés à des kilomètres du centre-ville. »

« D’ici 2030, la moitié des voitures seront autonomes », poursuit O’Toole. « Cette conversion se passera plus facilement que nous le pensons. Beaucoup de voitures disposent déjà de senseurs, de correction de cap ou d’assistance de freinage. En principe, elles disposent de tout le hardware nécessaire pour devenir une voiture autonome à part entière. Il faudra mettre leur software à jour, mais c’est possible pour moins de mille euros. »

Le professeur Davy Janssens (Université de Hasselt) est lié à l’Institut de la Mobilité. Il se montre plus réservé qu’O’Toole. « Les études ne sont pas univoques », déclare Janssens. « C’est vrai qu’il y a déjà des voitures autonomes, mais il faut résoudre encore beaucoup de problèmes pratiques avant de vraiment les intégrer dans la circulation. La plupart des experts estiment que la voiture autonome de niveau cinq ne percera vraiment qu’après 2035. En outre, cette technologie ne s’imposera que très graduellement. Mais une fois la voiture autonome sur le marché, l’impact sera énorme ».

Moins d’embouteillages

Les défenseurs de la voiture autonome soulignent qu’elle diminuera fortement les bouchons. O’Toole : « Beaucoup d’embouteillages sont causés par des erreurs humaines. Si un conducteur freine trop, toute la circulation s’embouteille. Comme un ordinateur réagit mieux et plus rapidement, nos routes pourront accueillir trois ou quatre fois plus de voitures. » Selon O’Toole, il n’est même pas nécessaire que tout le monde ait une voiture autonome pour sentir ces effets. « Même si 25% des voitures sont autonomes, les embouteillages diminueront, ce qui exercera également un effet bénéfique sur l’environnement. »

Cependant, ces bénéfices pourraient être anéantis par une augmentation énorme de la circulation. « En théorie, les véhicules autonomes doivent réduire les bouchons », explique Janssens. « Mais il y aura beaucoup d’utilisateurs de voitures- enfants et personnes âgées – en plus. »

Il y aura également beaucoup de voitures sans conducteur. Aujourd’hui, les voitures sont à l’arrêt la plus grande partie de la journée, ce qui en fait un investissement particulièrement inefficace. La voiture autonome de niveau cinq sera beaucoup plus rentable. Elle pourra aller chercher vos courses pendant que vous êtes au travail ou conduire vos enfants à leurs loisirs. Le consommateur gagnera beaucoup de temps, mais le nombre de kilomètres parcourus augmentera énormément, même s’il y aura moins de voitures. Les services de partage comme Uber – où vous commandez une voiture uniquement quand vous en avez besoin – connaîtront une augmentation explosive. Ou peut-être que vous achèterez une voiture à partager avec vos voisins ou vos proches.

La voiture autonome hypothéquera également l’avenir des transports publics. La plupart des experts estiment que dans les villes les trams, bus et services de navettes auront encore du sens. Mais O’Toole déconseille aux gouvernements d’investir en projets de longue distance. « Les trains à grande vitesse ou les hyperloops sont du gaspillage », déclare O’Toole. « Si les gens ne doivent plus rouler eux-mêmes, ils feront plus facilement des milliers de kilomètres en voiture. Le président américain Donald Trump souhaite construire de nouvelles routes, mais c’est peut-être aussi un investissement stupide. Les routes existantes auront en effet une capacité beaucoup plus importante. »

Si la prédiction d’O’Toole se vérifie, des travaux d’infrastructure qui coûtent de milliards d’euros – tels que le projet de liaison de l’Oosterweel ou l’extension du Ring de Bruxelles – risquent de se révéler superflus quelques années à peine après leur achèvement.

Une société productive

Le plus grand défi sociétal de la voiture autonome, c’est la perte d’emplois massive. Des millions de conducteurs de camions, de bus et de taxis perdront leur emploi. Les optimistes espèrent qu’on créera de nouveaux jobs qui entraîneront une meilleure prestation de service. Le chauffeur de taxi traditionnel sera peut-être superflu, mais il pourrait être remplacé par un accompagnateur qui aide les enfants, les malades ou les personnes âgées à atteindre leur destination. Les experts craignent toutefois que cela ne suffise pas à compenser les pertes.

Cependant, la voiture autonome risque d’entraîner une hausse du PIB. « La voiture autonome changera notre notion du temps », déclare O’Toole. « Aujourd’hui, les gens choisissent leur lieu d’habitation en grande partie en fonction de leur boulot. Mais si en route, vous pouvez travailler ou regarder un film, le temps est perçu très différemment. Comme le coût du temps de trajet baissera de moitié, les gens seront prêts à passer deux fois plus de temps sur la route. »

Cela enrichira la société. Aujourd’hui, le Belge consacre une heure par jour en moyenne à son déplacement domicile-travail. O’Toole : « Les navetteurs pourront mettre ce temps à profit pour travailler dans leur voiture, ce qui augmentera leur productivité. En outre, les gens pourront trouver un meilleur travail. Avant que la voiture soit adoptée, l’employeur pouvait uniquement trouver du personnel qui puisse venir à pied, ce qui limitait le choix. Si grâce à la voiture autonome, un employeur peut engager des personnes qui vivent à 150 kilomètres, la société sera plus performante. »

Janssens nuance cette affirmation: « C’est vrai qu’on pourra travailler dans la voiture, mais sera-t-on aussi productif qu’au bureau? Il n’y aura pas moyen de discuter avec les collègues et on ne disposera pas du même confort qu’à son bureau. Du coup, le trajet pèsera tout de même plus lourd. »

Prix de l’immobilier

Aujourd’hui, les prix de l’immobilier sont très élevés dans les villes autour de Bruxelles. La voiture autonome pourrait y mettre fin.

« Il est probable que la suburbanisation augmentera », déclare O’Toole. « Beaucoup de gens iront vivre plus loin à la campagne, où c’est meilleur marché et où il y a plus d’espace. Mais la ville dévaluera-t-elle pour autant ? Si les gens sortent de la ville, les petits appartements et maisons seront transformés en plus grandes habitations, ce qui augmentera la qualité de vie. »

Et la voiture autonome de niveau cinq exercera un impact encore plus grand. Celle-ci est capable de trouver une place de parking en dehors de la ville, ce qui permettra d’aménager plus de pistes cyclables et de parcs en ville. En outre, à terme les voitures autonomes seront complètement électriques, ce qui réduira nettement la pollution atmosphérique et sonore.

Moins d’accidents

Tous les experts s’accordent à dire que les accidents de la route baisseront considérablement. On estime qu’environ 90% des accidents découlent d’une erreur humaine. L’année passée, il y a eu 637 morts sur les routes de Belgique et le coût des accidents de voiture s’est chiffré à 2,5 milliards d’euros.

Davy Janssens: « Le facteur humain, tel que la perte d’attention, joue effectivement un rôle important. Les technologies d’aujourd’hui, telles que l’assistance de freinage, peuvent déjà aider. »

Peut-être que la voiture autonome sera tellement sûre que conduire deviendra un luxe. Lors d’un congrès récent pour les compagnies d’assurance, des experts ont prédit que les primes d’assurance pour les conducteurs humains seront si élevées que seules les personnes fortunées pourront rouler elles-mêmes.

Bien que Davy Janssens estime que les voitures autonomes entraîneront moins d’accidents, elles font surgir toutes sortes de problèmes éthiques et juridiques. « Que se passera-t-il si un véhicule doit choisir entre protéger les passagers ou renverser un piéton », se demande Jansens. « Les gens prennent ce genre de décisions intuitivement, mais comment programmer le véhicule ? Cela pourrait entraîner beaucoup de problèmes, particulièrement, si la technologie n’est pas encore au point.

« Et qu’en sera-t-il des erreurs technologiques? », poursuit Janssens. « Qui sera responsable en cas d’accident ? Normalement, c’est le conducteur qui porte la responsabilité finale, mais qu’en sera-t-il quand il n’y aura plus de conducteurs ? Les compagnies d’assurance devront répondre à ces risques. En ce moment, il n’y a pas de législation, mais c’est logique. »

D’après Janssens, il n’y a pas que la technologie qui est importante : « On oublie souvent le facteur psychologique, mais comment les gens géreront-ils la perte de leur autonomie ? Et les piétons ne se sentiront-ils pas en danger en voyant une voiture sans conducteur ? Nous n’y réfléchissons pas toujours, mais il faudra un débat approfondi sur tous les problèmes. »

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